05 décembre 2016
Le groupe des familiers a proposé de réfléchir au sentiment d’échec, en octobre dernier. Je recommande la lecture du compte-rendu de cette réunion en préalable.
En gros, nous pourrions distinguer trois composantes dans un échec :
− ce que nous pouvons attribuer à l’adversité et à une conjoncture défavorable,
− ceux en lien avec des « fautes techniques » qui nous sont imputables,
− des facteurs plus ou moins inconscients ou subjectifs.
Ce qu’on appelle la pensée magique est une source constante d’échec, car elle procède du déni de la réalité.
Le constat d’échec se distingue du sentiment du même nom. Le constat d’un échec ne manque pas de provoquer des émotions négatives : colère, exaspération, tristesse, découragement, déception, douleur, bref, une cohorte de petites et grandes contrariétés ! La confrontation à une réalité garde cependant un aspect concret et objectif qui facilite l’affaiblissement de ces émotions. L’évacuation des émotions est au cœur du processus de relativisation et éventuellement de riposte immédiate ou différée. Il est possible d’encaisser un essai en contre et de renverser cependant le cours du jeu ! Perdre une bataille ne signifie pas perdre la guerre ! Question de sang-froid et de détermination. Survivre à une série d’échecs est en soi une forme de réussite, tout au moins, une manifestation de résilience.
Il y a pire qu’un constat d’échec : son déni, l’absence d’analyse pour l’expliquer mais aussi pour en saisir les significations profondes. Une perversion, dans le domaine de l’interprétation, est de donner à un échec le statut d’une « réussite controversée », par l’effet d’une manipulation de la réalité. Les personnes alcooliques admettent parfois que, pendant des années, elles ont eu « tout faux ». Cette lucidité est beaucoup plus exceptionnelle dans le microcosme des politiques et des experts.
Plutôt que se confronter à la contemplation douloureuse d’un échec, il est préférable d’examiner le plus rapidement possible si une aide ne nous permet pas d’aller au-delà de l’échec et de dégager des solutions.
La répétition d’échecs analogues est une incitation à effectuer une démarche de psychothérapie. Un sujet peut inconsciemment faire « ce qu’il faut » pour échouer s’il est habité par l’interdiction de réussir, sinon par l’habitude du moindre effort. N’y aurait-il pas un « logiciel d’échec » intégré et à quoi renvoie-t-il ?
Il est sage de disposer d’un carnet d’adresses opérationnel. Nous pouvons aussi éviter de nous braquer sur ce qui momentanément ou durablement ne comporte pas de solution positive. Une règle d’expérience : ne pas se laisser paralyser par une impossibilité manifeste, par une déconvenue. Si une voie est bloquée, il n’est pas interdit de progresser sur une autre !
Il y a plusieurs façons de considérer un échec. Croire qu’il nous incombe est assez présomptueux, dès lors que tous les moyens raisonnables ont été mis en œuvre. Cette hypothèse doit cependant être examinée… L’échec nous dit seulement que notre objectif était irréalisable, hors de portée, ou que nous ne sommes pas donnés les moyens d’atteindre l’objectif. L’échec nous donne alors une leçon d’humilité. Nous avions fait preuve d’excès d’optimisme, nous avons commis l’erreur très humaine de prendre nos désirs pour des réalités. Cela se rencontre tous les jours en alcoologie : le buveur s’obstine à contrôler sa consommation et le proche s’entête à contrôler le buveur. La bonne attitude consiste à tirer leçon de l’expérience. Pour le buveur, laisser tomber l’alcool. Pour le proche, se recentrer sur soi, faire en sorte que l’alcool empiète le moins possible sur sa propre vie. Face à un échec, il convient de faire la part de ce qui vient de l’extérieur, de ce qui relève des erreurs de méthode et de pratique, et de ce qui correspond au « logiciel d’échec ». L’addiction peut être considérée comme faisant partie intégrante du logiciel d’échec.
Nous devrions nous demander comment et pourquoi une personne intelligente et sensible fait carrière pendant des années dans les addictions ?
J’aime, depuis le commencement, cette formule de Rivarol : « C’est un terrible avantage de n’avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser ». Lorsqu’un échec est la conséquence d’une adversité, nous n’avons pas à en souffrir excessivement. En quelque sorte, nous sommes tombés les armes à la main. Il n’en est pas de même quand cet échec nous incombe pour diverses raisons qui contredisent l’importance que nous donnions – verbalement − à notre objectif.
Si nous avons manqué de lucidité, de courage, de ténacité, de souplesse, mieux vaut nous moquer de nous-mêmes, nous insulter silencieusement, qu’adopter l’habit confortable de la victime. Il est bon que le rire, celui de Zorba, vienne nous libérer du constat de la catastrophe. Les Alcooliques Anonymes suggèrent de ne pas se prendre excessivement au sérieux. C’est un des ingrédients de l’épicurisme pragmatique.
Pour survivre à un échec, il est possible de passer à autre chose, de se rapprocher du meilleur de soi. Molière, paraît-il, a commencé sa carrière en combinant farces bouffonnes et tragédies. La farce ne suffisait pas à exprimer sa vision du monde et il était nul comme acteur tragique. Il a su s’inscrire dans la tradition de la Comédie en lui donnant une force originale et inégalée, classiquement française.
Nous pouvons être sauvés du sentiment d’échec en aimant « vraiment » une seule personne. Les « pervers narcissiques » et les psychopathes en sont incapables. J’ai cru remarquer que les nombrilistes n’étaient jamais réellement heureux alors que les grégaires ont parfois l’illusion de l’être. Souvent d’ailleurs, les humains associent ces deux caractéristiques.
Dernière chose qui vient à l’esprit : le fait d’avoir vécu un vrai et irréductible malheur aide à relativiser les échecs.
Qu’en est-il pour vous du sentiment d’échec ?
Qu’est-ce qui l’a nourri puis atténué ? En quoi le rapportez-vous à la problématique alcoolique ?