Avant, pendant, après

Lundi 29 Juillet 2019

« Toucher le fond » est une formule vieille comme l’alcoologie. L’été peut servir à revisiter ses classiques. Je vous propose de l’examiner dans sa temporalité. Winnicott avait un mot pour cette situation : « l’effondrement ». Sa théorie est que le sujet l’avait déjà vécu, d’une façon ou d’une autre, avant l’âge adulte, puis oublié. Il y a un autre terme employé au plan historique : la « Catastrophe », la Shoah, en hébreu. Il y a certainement des catastrophes en cours, déniées.

La période qui précède cette situation de naufrage peut être de durée très variable. Elle peut couvrir de nombreuses années, alimentées par le déni, les périodes d’accalmie de la consommation, la suppléance des proches, la tolérance de l’entourage élargi. Le phénomène est généralement progressif, insidieux, dissocié. Il finit par mettre à mal le volet conjugal, familial, professionnel, physique – aussi bien l’apparence physique que les atteintes d’organes ou de fonction. Le système-alcool peut encore fonctionner, en incluant des démarches de soin plus ou moins cohérentes, avec des pauses de durée variable. Il est exceptionnel que le sujet ait une claire conscience de la gravité potentielle de sa problématique. Il est dans l’immédiateté ou une lucidité à œillères. Il est dans l’agir ou il psychologise. Il peut se servir d’une psychothérapie pour continuer à patauger dans son passé, pour mieux tourner en rond. Un événement survient et l’édifice s’effondre.

La période du toucher le fond est majoritairement l’équivalent d’une crise du milieu de vie. Quand la question du ressaisissement se pose, les cartes encore disponibles sont variables. Le sujet peut aussi bien s’en servir pour continuer à tourner-manège. Le danger de la reprise du verre est régulièrement sous-estimé. Il est très fréquent que le sujet recule et transige devant ce qui est une solution simple et pratique : pas un verre d’alcool. Il existe toute une culture d’encadrement d’une consommation occasionnelle et très modérée. Et il n’est pas question pour un alcoologue d’écarter de l’accompagnement un patient qui réfléchit et fait de son mieux dans les différents domaines de sa vie. Mais que de temps, d’énergie et d’occasions perdues. L’effet d’engrenage s’observe souvent : le conjoint épuisé s’en va, les enfants qui ont grandi s’éloignent, le réseau des relations amicales disparait avec la perte de la position sociale, l’argent manque, la santé devient défaillante. L’inconscience demeure.

Toucher le fond appelle à un ressaisissement, franc, sincère, humble, accompagné. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Sans doute, faut-il alors rencontrer de « bonnes personnes » capables de comprendre sans juger, de porter assistance sans faire à la place de celui qui est au plus mal.

D’une façon générale – nous le soulignons – la personne et son entourage, à l’exemple de la Société, sous-estime la gravité de la problématique alcoolique. Elle méconnait les fragilités mentales sous-jacentes. Un autre facteur de gravité s’est ajouté : la dégradation continue des bases économiques, professionnelles, sociales et culturelles. Un ancien patient parlait aussi, justement, de ressources intellectuelles et morales. Quand on connaît l’état de l’offre de soin dans le champ de la psychothérapie addictologique, on conçoit que sortir du fond n’est pas gagné d’avance !

D’une façon encore générale, tout humain doit savoir que le Capitole des romains, lieu des célébrations triomphales, n’est pas loin de la Roche tarpéienne, d’où l’on précipitait dans le vide les condamnés à mort. D’où la lucidité, la prudence, l’humilité, la vigilance et les initiatives. Rester debout et avancer est un phénomène actif, souvent intelligent.

Alors que faire ? Il y a des solutions, évidemment et un état d’esprit adéquat. Des retournements spectaculaires et durables sont accessibles. Chaque personne est un cas particulier mais elle a intérêt à identifier ce qui pourra l’aider et à apprendre à s’en servir pour ne pas y retourner.

Il ne serait pas impossible de réduire la part de ceux qui toucheront le fond et d’accroître celle de ceux qui s’en sortiront, sans attendre que la Société ne touche le sien.

Et n’oublions jamais la force libératrice du rire et de l’amitié.

 Avez-eu besoin de toucher le fond pour reprendre en mains la conduite de votre vie ?

Êtes-vous conscient des progrès réalisés par vous et des progrès à faire encore ?