lundi 30 avril 2012

Me voici au pied du mur, avec le défi de rédiger un livre pour Bacchus sur la relation à l’alcool. Pour le moment, j’ai à peine énoncé un plan déductif pour aboutir à ce qui sera possible d’être dit, au final, en matière d’abstinences et de consommations contrôlées.

Nous avons à clarifier, en utilisant le miroir de la problématique alcoolique, cette expression stimulante de « pensée paresseuse », entendue pour la première fois lors de la conférence de 2009 « Plaisirs et réalités » de Gérard Ostermann. Cet effort nous permettra ensuite de mieux saisir le poids de la pensée paresseuse sur la façon dont les personnes alcooliques ou en chemin de le devenir sont maltraitées.

Je lis, dans le même temps, avec un plaisir compréhensible, l’ouvrage d’Irvin Yalom sur « Le problème Spinoza », un roman à double progression, avec une alternance de chapitres, tantôt centrés sur Barruch Spinoza, tantôt relatant la trajectoire d’une des figures des théorisations nazies, Alfred Rosenberg.

C’est Boris Cyrulnik qui a popularisé cette formule de « pensée paresseuse », en réaction à la vulgarisation du mot « résilience », mis un peu à toutes les sauces. Curylnik distingue par ce biais la réflexion des scientifiques de celle du commun. Cependant, Serge Tisseron pointe l'ambiguïté, pour ne pas dire le caractère bricolé de ce concept. La résilience serait pour Cyrulnik, la caractéristique d’une personne qui « parvient à réussir sa vie après avoir fait face à un traumatisme grave ». Cette définition interroge du point de vue de la « pensée paresseuse » elle-même. D’abord, comme le fait remarquer Tisseron, qu’est-ce « Réussir sa vie ? ». Il me semble que cette évaluation ne peut être réalisée qu’à l’appréciation post-mortem de ce qui a été induit par le sujet, durant sa vie et après celle-ci sur plusieurs générations. L’expression semble relever plus du lexique des professeurs de « développement personnel » que d’un psychanalyste aussi observateur que peut l’être l’éthologiste Cyrulnik. Une autre question intervient : quelles sont les relations entre la capacité de se relever d’un traumatisme (ou d’une période critique) et de repartir de l’avant, utilisant de façon constructive la déstabilisation engendrée par le trauma ? Le traumatisme est-il un élément à l’origine de la résilience, un révélateur d’une résistivité jusque-là inexprimée, les deux ? Un trauma ne mérite-t-il pas le qualificatif de grave par la gravité de ses conséquences ? Est-il prouvé qu’un trauma grave soit source de résilience ? En quoi, par exemple, une poussée de pancréatite aiguë alcoolique à l’origine d’une pancréatectomie et d’un diabète à l’insuline, avec que cet accident somatique entraîne sur le plan psychique, peut-elle rendre un sujet plus apte à surmonter une dépression structurelle ? En quoi un deuil impossible à faire est-il source d’énergie productive ? Le terme de gravité ne doit-il pas être réservé à des événements dotés d’effets destructeurs sur le devenir, l’équilibre et les capacités d’adaptation d’un sujet ? A un autre point de vue le risque de notion n’est-elle pas d’établir une classification entre une élite résiliente
et une masse qui se laisserait aller, soumettre et même éliminer ? La résilience ne peut-être pas correspondre à un acharnement à avoir raison contre la raison et les lois naturelles ?

Le groupe de parole facilite la réflexion au moindre effort. Pouvez-vous donner des exemples de pensée paresseuse relative à la problématique alcoolique ?