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Les fiches livres

Les couleurs De l’inceste

Se déprendre du maternel 

 

Jean-Pierre Lebrun

Erès

17€     370 pages

lescouleursdelinceste

 

 

L’ouvrage de Pierre Lebrun a le mérite de croiser deux grilles de lecture : la psychanalyse et un regard porté sur le néolibéralisme. Dire qu’il est facile et passionnant à lire serait excessif. Les expressions propres au langage lacanien obscurcissent le propos plus qu’elles ne l’éclairent. La description des arcanes idéologiques du néolibéralisme laisse un peu sur sa faim par sa généralité. Écriture pénitentiaire oblige, peut-être. La réflexion proposée met l’accent sur des questions interrogeant le malaise croissant dans notre civilisation. Le chamboulement des places au sein des sociétés développées a permis une meilleure équité sociale entre les femmes et les hommes. Elle a également déterminé un effacement des repères qui permettaient à chacun de devenir adulte et, autant que possible, responsable.

L’auteur, sans surprise, met l’accent sur le langage et la parole. Esope, en son temps, avait démontré qu’ils pouvaient être la meilleure et la pire des choses ou encore qu’une parole, en dépit de sa force signifiante, méritait d’être examinée dans sa relation aux actes et aux conséquences qu’elle induisait.

Il montre que la remise en cause du patriarcat sur lequel nous sommes très majoritairement et sans état d’âme en accord a suscité une crise de l’autorité telle que la confusion s’est étendue, que le bon sens s’est effacé, que la démesure règne. La collusion entre le néolibéralisme, l’égalitarisme formel, le refus des limites naturelles et éthiques, est telle que le pire devient l’ordinaire.

Que pèse aujourd’hui Freud face à laTV ou à Tik tok ?

L’avant-propos parle du malaise dans la civilisation, de l’effacement du sens du collectif sous la poussée des habitudes individualistes, des priorités dictées au nom de l’épanouissement du Moi. La donne de départ était (en principe) : l’amour inconditionnel de la mère, l’amour conditionnel du père. Les temps ont changé. Chacun pense avoir le « droit » de « rechercher une satisfaction sans limite. Il lui devient intolérable que l’objet réel puisse venir à manquer » (p 13).

Il va de soi que la bouteille ou la cannette sont toujours disponibles. L’objet-alcool devient ainsi l’objet de substitution le plus accessible et le plus ressemblant des satisfactions maternelles précoces. L’objet-drogue (que l’alcool peut être aussi) devient un objet de transgression dans le champ du social. Il s’oppose ainsi à la loi formelle à la place de la loi symbolique de l’interdit. Choisir, par la substance psychoactive, d’être dans un état second, hors état de contrôler ses paroles et sa conduite, devient une « fête ».

Le survol des paragraphes du chapitre 5, est évocateur des injonctions idéologiques du néolibéralisme. Elles se retrouvent dans les comportements et les modes de pensée.

- Exclure le vide :

Le vide fait peur. Il se traduit souvent par l’incapacité d’être seul(e). Indépendamment des angoisses psychotiques, la peur du vide fait écho - Lebrun, nous le rappelle- à la certitude de notre fin. Nous en prenons conscience très tôt et cette crainte en forme de rejet nous accompagne toute notre vie. Elle est le ressort des religions qui ne manquent pas de donner des perspectives plus ou moins attractives et précises pour « l’après ». La peur du vide offre une base plus récente aux délires transhumanistes et, plus banalement, aux addictions.

- Refuser la hiérarchisation

Il cite Bernard Stiegler : « La politique consiste à installer le règne du désir contre celui des pulsions. Celles-ci ne peuvent que conduire à l’incivilité généralisée, c’est-à-dire à une forme larvée de guerre civile » (p172). Cette incivilité, tendanciellement consumériste, ne peut qu’être encouragée par le système marchand. Le désir canalisé et contenu est, par contraste, une source d’énergie. Il ouvre l’avenir par les projets à mettre en œuvre. La hiérarchisation des priorités n’a rien à voir avec la hiérarchie des bureaucrates.

- Escamoter le réel

Il cite « L’œil absolu » de Gérard Wajcman qui donne à penser que « le visible est le réel ». Plus besoin de décoder, d’interpréter, d’aller au contact.

- Normaliser

Des subtilités à comprendre : la normalité se définit par rapport à la norme, la normativité définit la norme. La normativation rend la norme identifiable. L’auteur effectue un commentaire sur le terme quelque peu mystérieux de « Phallus ». En psychanalyse, le mot symbolise le pouvoir de distanciation propre à une personne. Il est indépendant des attributs sexuels féminins ou masculins. Ce pouvoir fera que je ne serais jamais absorbé par un compliment ou une critique qui m’est faite sur un mode généralisant. Par exemple, « Tu es un monstre » ou « Tu es le meilleur ».

Ce pouvoir se rattache à la parole dite et entendue. L’individu phallique est capable de faire objection. Il peut refuser ce que le social veut de lui et pour lui. En l’absence de cette aptitude qui se travaille et se déprend, le sujet se soumettra aux consignes, sans même en examiner le bien-fondé.

- Empêcher plutôt qu’interdire 

La nuance est d’importance… Ainsi, la circulation automobile n’est pas empêchée en agglomération. En revanche, les colonnes vertébrales sont travaillées par les « gendarmes couchés », les plots réduisent le jeu des modifications de trajectoire, la limitation de vitesse interdit la moindre accélération. Empêcher exerce une contrainte sourde, crée un formatage imperceptible.

- L’immédiateté comme règle

L’auteur fait référence à un livre de Morgan Sportès : « Tout, tout de suite ». La culture de l’urgence est très évocatrice des inorganisés passifs qui peuplent notre quotidien.

- L’image plutôt que la parole

La TV et la répétition obsessionnelles des images, le zapping, les photos de voyage envoyées en salve…

- L’exigence de la transparence

On nous cache tout, on ne nous dit rien, chantait Jacques Dutronc. Tout savoir, c’est ne rien savoir et surtout ne rien comprendre. Transparence rime avec apparence.

- Émouvoir plutôt qu’argumenter

Emouvoir est le ressort de l’anti-pensée. L’émotion rend presque accessoire l’usage de la novlangue.

- Parler (la novlangue) plutôt que dire

Un mainate dit des mots. Il ne parle pas. Le mot d’un mainate peut faire écho, à la différence du baratin journalistique ou de la plupart des échanges.

- Rester jeune

C'est-à-dire infantile et dans le déni du temps qui reste.

Reste à préciser ce que l’on entend par néolibéralisme pour le distinguer du libéralisme. C’est une question difficile qui justifierait de longs développements et forces citations.

Pour y voir plus clair, nous avons pris connaissance d’un cours de Michael Fœssel à l’École polytechnique, reproduit dans la revue Esprit, accessible sur internet.

Les divergences entre ces deux courants sont profondes puisqu’elles se rattachent aux « représentations de l’individu, à la place que la doctrine réserve à l’État et à la conception de la rationalité. Les figures de proue en sont Hayek, Von Mises et ce qui a été nommé l’école de Fribourg, d’une part, et, d’autre part, Milton Friedman et son « école de Chicago ». Pour ces théoriciens, le moteur de l’action humaine se situe dans la recherche des intérêts individuels. L’éthique et l’intérêt général n’existent pas. L’État, comme disait Naomi Klein, doit limiter son action à fournir des policiers et des soldats.

L’État de droit a comme principe de limiter et d’organiser les intérêts catégoriels pour faciliter le vivre ensemble. Il doit s’effacer devant la logique du droit privé, avec, comme corollaire, la judiciarisation des relations humaines. Le moindre aléa, la moindre erreur ont pour effet de faire travailler les avocats et professions apparentées. Une fonction sociale de l’État néolibéral est de fixer les prix, en faisant des marchandises de toutes les activités humaines.

En contradiction paradoxale avec l’exigence de liberté, l’État néolibéral se charge de modifier le rapport au réel, de soumettre les populations aux intérêts économiques et financiers qui l’ont investi. La vérité n’est plus une donnée résultant de l’analyse du réel. La vérité se déduit de la satisfaction des intérêts particuliers, que ceux-ci se déclinent à l’échelle des individus ou des groupes quelle que soit la nature de ces groupes. Il se propose des indices de satisfaction et des like. Il n’est pas besoin d’être sociologue pour imaginer les conséquences de telles conceptions : il suffit d’examiner ce qui se passe aujourd’hui : c’est la guerre de tous contre tous.

La réflexion critique ne peut se résumer selon nous à opposer le libéralisme au néo-libéralisme et pas davantage à répéter, pieusement, le rejet du socialisme bureaucratique. Nous ne partons pas de rien et il nous semble indispensable de remettre en question tous ces modèles plus aliénants et destructeurs les uns que les autres. Nous avons à rechercher de nouveaux points d’équilibre entre les intérêts particuliers et l’intérêt général, entre les différents intérêts généraux qui peuvent s’opposer entre eux. Chaque individu, chaque groupe est invité à se remettre en question pour être en mesure de répondre au défi que lui impose le réel. Des alliances solides, brisant les cloisonnements, peuvent se constituer autour de l’intérêt général et les solutions novatrices qu’il peut inspirer.

Un des autres points de désaccord de fond avec les néolibéraux est leur conviction qu’ils ont affaire à des ignorants, à l’exception d’eux-mêmes, évidemment. Une de nos priorités, préalable à toute action concertée, est de réduire les ignorances, en apprenant les uns des autres. Autant des ponts peuvent se concevoir avec des libéraux conscients de l’intérêt général, autant le fossé avec les néolibéraux, et tout ce que leur idéologie véhicule, semble irréductible.

Ce livre nécessite un effort de lecture et de réflexion. Ainsi (p197), le propos disqualifie les pères biologiques appelés « géniteurs » en opposition avec les pères de présence et de parole qui partagent la vie de la mère. Ceci vaut en théorie. Nombre de patients ont pu nous dire les horreurs « incestueuses » perpétrés par des beaux-pères ou aussi par des amis de la famille, avec la complicité passive d’une mère peu soucieuse d’assurer son rôle d’interdit. La rencontre différée du père biologique peut, parfois, réparer les blessures anciennes. Tout est affaire de cas particuliers.

Ce même type d’effacement de la mère ou de la femme s’observe dans des couples criminels, telle la femme dans le couple Fourniret ou encore celui de la compagne de Marc Dutroux, son « équivalent » belge. La promiscuité « incestueuse » des couples mère-fils et mère-fille se retrouve assez souvent en alcoologie et en psychopathologie. L’accompagnement du patient doit en tenir compte. La déconstruction du lien pathologique passe par la mise en réflexion, rendue possible par l’élaboration mentale et son expression au sein d’un groupe de parole, tel que le nôtre. Tout le monde n’a pas les moyens de s’offrir une psychanalyse et la divulgation contrôlée comporte l’intérêt particulier de sortir du huis clos, maintenu, d’une certaine manière, par la cure analytique. Sans employer le mot, Lebrun décrit la reviviscence : faute d’une élaboration parlée, le comportement peut se décalquer et se revivre, d’une génération à l’autre.

En guise d’épilogue, JP Lebrun résume le film Perfect mothers, à savoir une sorte d’incestes croisés concernant deux grandes amies d’enfance et leurs deux grands fils. Un des pères est définitivement absent parce qu’il est mort, l’autre est habituellement absent. Depuis que nous nous sommes intéressés à la problématique alcoolique, nous avons vérifié la fréquence de cette équation, déclinée de différentes manières : une mère excessivement présente, un père excessivement absent.

Dans le cadre désormais révolu de la division sociale du travail, la mère pouvait faire exister le père par le récit, tout en validant son absence liée aux nécessités professionnelles. Le père pouvait être présent par la qualité relationnelle des moments partagés avec ses enfants. Il existait une transition douce de l’ambiance maternante, à laquelle participait souvent une grand-mère, à un état d’esprit compatible avec la découverte des réalités sociales et de l’apprentissage de l’individuation intellectuelle. Le père prenait alors plus de place comme témoin d’un environnement plus compliqué. Le système éducatif confortait cette évolution. Le patriarcat, face cachée du matriarcat, n’existait plus dans les pays développés.

L’évolution du système économique a contribué à faire éclater les familles et les solidarités de proximité qu’elles faisaient vivre. Les familles recomposées ont favorisé des relations plus aléatoires. Les carrières individuelles ont surdéterminé le projet familial. La réussite et le confort matériel sont devenus la raison d’être de couples éphémères. La satisfaction des besoins a remplacé le désir, l’imagination, les projets altruistes. L’intérêt général s’est effacé. Le progrès technique a généré égoïsme, ennui, peurs et insatisfactions. Le virtuel, comme activité occupationnelle, s’est substitué à l’ajustement au réel et aux défis qu’il proposait. La parole, célébrée par ce livre, est devenue bavardage, au service de de l’insignifiance. Les addictions sans leur diversité sont devenues une composante de ce naufrage dénié.

L’auteur, comme c’est la règle dans un ouvrage qui atteste d’une réalité préoccupante conclut par un optimisme formel. Il ne propose rien pour qu’un changement de trajectoire puisse s’amorcer. Rien ne peut se faire sans le retour au Politique.

Nous terminons cette présentation incomplète de l’ouvrage par la citation d’Orwell (tirée de « 1984 ») qui l’annonce : « L’important n’est pas de vivre, encore moins de réussir, mais de rester humain » 

Antidote Au culte De la performance

La robustesse du vivant

Olivier Hamant

Tracts Gallimard

3€90 n°50

 

antidoteaucultedelaperformance

Hier, sur la piste cyclable de l’Isle-Jourdain, un gamin négligé par sa grand-mère s’est mis en travers quand je passais : chute, dérailleur arraché, un mois de délai pour espérer retrouver l’usage du vélo. Les os ont tenu, merci. Où est la performance ? En ville, à Toulouse, le long des plots, nous devrons respecter les 30 kms à l’heure. Où est l’accélération ? Deux exemples parmi des centaines. Notre modernité tardive devient un cauchemar. Olivier Hamant, chercheur à INRA de Lyon se défoule par une série de courts paragraphes. Suivons ses traces.

Passons sur la brève introduction qui souligne la triste réalité du dérèglement socio-écologique et invite à quitter le monde du burn-out.

À propos de robustesse, souvenons-nous d’un commentaire à notre demande de reconnaissance contractuelle il y a plus de 25 ans. Un des énarques temporairement propulsés à la tête de l’Agence Régionale de Santé (qui s’appelait autrement) avait conclu notre présentation d’activité par « La fragilité rend créatif ». Depuis, nos élites n’ont rien appris, rien corrigé, bien au contraire. La créativité dont elles font preuve leur est dictée par le libéralisme financier à l’ère du numérique. Les masses doivent être soumises, atomisées et robotisées.

Revenons au Tract n°50.

Halte à la performance

 

« En 1972, le rapport au club de Rome, Les limites de la croissance, prévoyait un basculement socio-économique » : « pénuries plurielles de ressources, événements climatiques, remous sociaux, tensions géopolitiques ». Dans son livre éponyme, Dennis Meadows nous invitait à faire un « pas de côté ». Il précisait « Ce sont nos habitudes qui construisent les crises ». L’auteur ajoute « notre principale habitude aujourd’hui, c’est le contrôle et l’optimisation ». Je me porte respectueusement en faux contre cette « dénonciation » : par sa généralité, elle masque la perversion mensongère de notre système de vie. Le Ministère de la Santé est-il acquis au contrôle de l’efficacité et de l’efficience en addictologie étatique et en psychiatrie institutionnelle ? Nous serions très heureux de voir des responsables de Santé publique s’intéresser à notre travail clinique, en commençant par essayer de le comprendre. Nous avons récemment poussé la plaisanterie en les invitant à la découverte d’une réunion thématique sur le discernement, dans le but d’aider des responsables de bonne volonté à ouvrir les yeux. En réalité, la technostructure, comme entité globale, se moque de l’efficience et de l’efficacité. Elle pratique le laisser-faire libéral dès que l’Argent et la pensée paresseuse l’exigent. Son système de contrôle, dispendieux et inefficace, sert essentiellement à la justifier comme organisme de contrôle.

Autojustification

L’auteur dénonce le principe des « indicateurs » quantitatifs, ces chiffres et statistiques qui servent d’argumentaire. Dans le domaine du sport, la priorité de la performance suscite le dopage, les paris… « La croissance donne l’illusion de l’abondance, alors qu’elle crée la pénurie ; elle dessine une trajectoire de progrès alors qu’elle menace la viabilité de l’humanité ». « La masse des indicateurs masque d’autres valeurs et nourrit une forme de pensée réductionniste toxique ».

Réductionnisme

« Optimiser fragilise en appauvrissant les interactions ». L’alcoologie nous en fournit un exemple avec la réduction de l’approche soignante à des suggestions sur les « bons comportements », à des prescriptions de médicaments peu efficaces, le tout visant à « gérer les dommages ». Des pans entiers de connaissance et de l’expression de l’humain sont ainsi éradiqués du soin. Optimiser en pesant par l’absence de ressources est un autre mot pour supprimer ou interdire des activités utiles. Ainsi l’aide aux proches en alcoologie ou même la formation de futurs professionnels. Si nous avions respecté le principe d’une juste rétribution de nos activités, celles-ci n’auraient pu exister et persister.

Effets rebonds

Les gains d’efficience sont censés « faire des économies d’énergie et de ressources ». En réalité, il se produit un « gain d’attractivité » qui aboutit à une consommation accrue. Il n’y a qu’à regarder ce que font 90% des gens dans un métro avec leur portable. Il est facile de commander sur Internet, alors pourquoi fréquenter les boutiques et le marchés ? Ce phénomène est appelé le « paradoxe de Jevons ». Les gains d’efficience se font au détriment des professionnels et même des usagers, invités à faire eux-mêmes ce que des salariés faisaient auparavant, avant d’être éliminés pour « diminuer les coûts ».

Destruction sociale

Les gains de productivité conduisent à la raréfaction des relations humaines, « à des soins négligés, au désengagement, au burn out ». Dans son livre « Le Ministère des contes publics », Sandra Lucbert énonce une chaîne logique : la réduction des impôts (célébrée spontanément) profite à ceux qui en payent le plus. L’allègement fiscal accroit le déficit du secteur public qui détermine, à son tour, une décision de réduction des dépenses publiques, jusqu’au moment où le secteur financier boursier prend possession des services publics malmenés pour dégager des sources de profit qui éloignent un peu du souci du service public. Le tout, cela va sans dire, correspond à la suppression d’un maximum d’emplois qui faisaient vivre les relations.

Aliénation

Les échanges boursiers dépendent de plus en plus de l’intelligence artificielle. « Les guichets physiques sont remplacés par des guichets numériques. On poinçonnait autrefois ; aujourd’hui, on scanne des QR codes ». Yvan Ilitch : « l’œil devient dépendant de l’interface plutôt que l’imagination ».

Technocratie

Plus besoin d’atermoiements délibératifs pour des décisions politiques d’envergure : nous avons le 49-3 et le 47-1. Cette préoccupation de rapidité n’a nullement entravé le retard incroyable de mise en œuvre de transports en commun rapides, non polluants (visuellement) et confortables constituant une alternative attractive aux déplacements individuels. Il en est de même du Nucléaire, plébiscité après avoir été décrié.

Guerres

Les pays les plus riches suscitent les guerres à distance. Outre les bénéfices directs qu’ils en retirent, « la guerre est aussi le carburant de la performance ». Quoi qu’il en coûte. Le développement de l’aviation civile est issu de l’aviation militaire, la généralisation de l’usage des engrais azotés de synthèse découle du procédé de Haber pour fabriquer des explosifs, l’ordinateur a été mis au point à l’occasion du projet Manhattan à l’origine de la bombe atomique, Internet a été stimulé par la Défense nord-américaine. « La guerre est donc bien à la fois un produit et une cause des gains de performance dans un engrenage sans fin. »

Destruction des écosystèmes

« Nos gains de performance ont un coût caché. Les pénuries s’étendent des ressources non renouvelables aux ressources renouvelables, comme le bois et l’eau ».

« Nous vivons les prémisses de la sixième extinction de masse, avec déjà 30 ou 40% des espéces en voie de disparition. « En trente ans, 80% des insectes auraient disparu en Europe ».

Les sols de l’agriculture intensive ne régénèrent plus leur fertilité, ils ne préservent plus leur hygrométrie, ils ne captent plus le CO2 sous forme de matière organique ».

« En deux cents ans, notre obsession de performance a créé des conditions telles que la viabilité de l’humanité sur de grandes régions de la Terre est engagée ».

Les impasses du développement durable

Le tout-électrique à la place des énergies fossiles suscite « des extractions minières de métaux rares extrêmement énergivores, génératrices de pollutions plurielles et de destructions » du cadre de vie. « Le développement durable se réduit trop souvent à une bonne conscience écologique ».

« La révolution à venir est bien plus profonde qu’une réforme fiscale ». Le défi est de passer du « toujours plus, au moins mais mieux. »

L’adaptation et la fluctuation

De tous les rapports produits, un mot à retenir pour l’auteur : fluctuation. Le climat déréglé sort de l’écart-type. Il y a près de dix mille ans, à l’issue de la dernière glaciation, nous avons inventé l’agriculture, l’élevage, la sédentarisation. L’industrialisation a suivi. « Aujourd’hui, la Nature menacée devient menaçante ». « Notre certitude, c’est le maintien et l’amplification de l’incertitude ». « Quand on est très adapté, on est forcément spécialisé », « ce qui signifie que l’on a abandonné des compétences jugées inutiles ». Nous le voyons bien en médecine quand le contact humain et le contenu culturel qui va avec disparaît. La stabilité suppose l’adaptation, l’instabilité l’adaptabilité. L’instabilité incite au pragmatisme.

L’approche intégrative

Juste ciel ! Ce chercheur en agriculture nous livre une réflexion qui concorde avec notre expérience et notre pratique (p 19) : « Le vivant n’est pas très performant…

Ce réexamen du vivant, riche de ses nombreuses contre-performances, est consolidé par une révolution récente en biologie : l’approche intégrative et systémique. » C’est ce que nous nous sommes employés à faire dans notre pratique de clinicien, en suscitant des progrès individuels à partir des « contre-performances » induites par l’alcoolisation, ce qui nous a permis de nous confronter ( ?) à la cécité des élites universitaires et bureaucratiques.

Le vivant comme modèle de contre-performances

Dans un écosystème – et l’écosystème alcoologique ne fait pas exception ! – « nous retrouvons de l’hétérogénéité, des processus aléatoires, des lenteurs, des délais, des redondances, des incohérences, des erreurs et de l’inachèvement » (p20)

Habiter un monde fluctuant

« Depuis le Néolithique, le progrès de l’humanité a été guidé par les gains de performance ». Nous avons atteint une limite où le processus s’inverse. » « La mondialisation est un château de cartes »

La robustesse avant la sobriété

« Proposer à une personne démunie d’être sobre est indigne. » Nous avons à quitter l’époque de l’optimisation construite sur la pauvreté des interactions. »

Trouver les questions d’abord

L’auteur souligne l’intérêt de la perplexité (il aurait pu parler du doute, si décrié de nos jours). Einstein estimait que l’important était de partir d’une bonne question. Nous pourrions ajouter : d’une bonne observation. Par exemple, « les groupes de parole marchent en alcoologie, pourquoi ? ». « Dans le monde de la performance, on va trop vite vers la solution sans remettre en cause la pertinence des questions. » « L’acte de parler est essentiel pour se penser, la verbalisation laissant échapper des vérités et des intuitions qui, sinon, resteraient diffuses, enfouies, refoulées ou encore biaisées par des clichés et des automatismes ».

Comme disait aussi Soulages : « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ».

Produire pour nourrir les écosystèmes

Dans le monde stable de la performance, l’accroissement des rendements agricoles a été un objectif qui a permis de résoudre en bonne partie les besoins de nourriture. Il en a résulté des conséquences négatives déjà mentionnées : effondrement de la biodiversité, pollutions, imperméabilisation et désertification des sols, consommation d’énergies fossiles, désertification des campagnes. Le paysan, en agroécologie, dispose de toute une gamme de comportement alternatifs qui s’opposent à l’agriculture industrielle.

Une économie de l’usage collectif

Nous retrouvons l’exemple des transports en communs efficaces, le refus de l’obsolescence programmée, la réparation préférée au changement. Il est question de la voiture du futur mais comment ne pas penser aux voitures simples du passé ? La 2CV était d’une simplicité remarquable. Je me souviens avoir fait tenir pendant des mois les fils du contact par un épingle en bois après la perte de la clé de contact. Avons-nous besoin des sophistications actuelles pour se déplacer ?

Plus loin (p 33) l’auteur parle de recherche impliquée plutôt qu’appliquée. Il plaide pour une innovation qui s’oppose à la performance bureaucratique. En d’autres termes, pour sortir de l’écriture pénitentiaire, il plaide pour l’innovation intelligente au service de l’utilité générale plutôt que la recherche d’améliorations « high tech », financées par l’impôt. Il met l’espoir dans la biomasse végétale (p35). Il évoque la possibilité de batteries à base de lignine (molécule la plus fréquente sur Terre, après la cellulose). Elles sont plus encombrantes que les batteries à base de lithium. Elles remplacent les métaux rares. Pour lui, il ne s’agit pas de décarboner en remplaçant le pétrole par les métaux rares. La bioéconomie demande de respecter la nature, en laissant les bactéries, les champignons et les plantes fabriquer la biomasse, à leur rythme, sans davantage s’en prendre aux besoins des écosystèmes et des humains.

Le travail

L’auteur ne manque pas de souligner « la double épidémie de démissions et de burn out qui marque ce quart de siècle. » Il est possible et souhaitable de revisiter la notion de travail (c’est notre point de vue) plutôt que d’opposer le travail au non-travail. Quand je lis, souligne et résume ce tract, je travaille. La perversion de notre temps est de rétribuer l’argent plutôt que le travail et d’avoir une vision rabougrie, salariale ou à l’acte du travail, sans tenir compte du temps et des ressources mobilisées. La maîtrise de l’activité est nécessaire au plaisir de travailler.

Court, moyen ou long terme

« Dans un monde turbulent, le long terme n’existe plus » (p42). « Spéculer sur les futurs possibles » revient à laisse prospérer le chaos en rêvant de la vie sur Mars. Reste ce qui est possible à court terme et ce qui peut se préparer à moyen terme (le temps étant fonction de l’objectif). L’essentiel est de rester en jeu et sur le chemin.

L’éducation

Ce chapitre n’est guère convaincant car il fait l’impasse de la situation réelle, telle qu’elle se vit chaque jour. Une fois acquis les fondamentaux, l’essentiel est de ne jamais cesser d’apprendre, d’exercer son esprit critique et d’agir en restant reliés et complémentaires, entre gens de bonne volonté.

Au terme de cet essai, faut-il préférer le terme de robustesse à celui de résilience ? Comme tous les concepts utilisés, la résilience a été mise à toutes les sauces. Si nous la rapprochons des problématiques addictives et alcooliques, nous voyons bien qu’il s’agit de concepts-valises qui ne disent pas grand-chose du réel, en définitive. Les rapports sociaux de domination actuels sont ce qu’ils sont. Les effets paralysants et destructeurs du système mondialisé sont ce qu’ils sont. Le tout nous conduit à la catastrophe. Le culte de la performance est une des absurdités et une des impostures du système en place, au même titre que la productivité orchestrée par la logique du profit financier et des compétitions entre grandes puissances…

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