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Les fiches livres

L’empire de l’urgence

ou la fin de la politique

  

Julien Le Mauff

puf, Société

20€, 200 pages

lempiredelurgence

 

Julien Le Mauff mobilise pour son ouvrage deux grilles de lecture, politique et historique. Il met l’accent sur le rôle de l’urgence et de l’exception comme modes de gouvernance des populations. Son livre est marqué par ce que nous avons vécu avec le confinement. Il pointe, après d’autres, « la pénétration de l’urgence, dans la vie quotidienne » (p17) et sa fonction politique dans l’empêchement à penser. Quelle est la fonction politique de l’urgence ?

1. En suspension

L’urgence est devenue une technique du gouvernement. L’état d’urgence correspond à une suspension de l’ordre juridique normal et d’un certain nombre de droits fondamentaux qu’elle est censée garantir.

Une période a été ouverte avec les événements terroristes, inaugurés par le 11 septembre 2001. Avec la pandémie de 2020, nous avons vécu une urgence sanitaire à l’origine de dispositions diverses, dont certaines défiaient le bon sens, sans pour autant provoquer de rejets massifs. « L’afflux de populations largement originaires de l’ancien empire colonial français (p 27) a abouti à des enclaves qui ont elles-mêmes justifiées la banalisation de la présence policière un peu partout. Si bien que « l’activité gouvernementale pourrait bien n’être plus rien d’autre que le traitement politique d’une urgence généralisée… Une question d’ordre politique n’est plus pertinente pour celui qui exerce le pouvoir, que si elle présente quelque caractère urgent. « L’urgence ne presse pas que le temps, mais s’impose de façon physique à celui qui en ressent le poids »  (p29). Elle dispense de l’effort de comprendre les situations et de réfléchir à des réponses structurelles. La priorité est donnée, de façon obsessionnelle, à l’événementiel. Bourdieu : « Les faits divers sont aussi des faits qui font diversion » (p40). « le fait divers constitue une forme invisible de censure, et appartient aux stratégies de production d’un consens vide, qui visent à la dépolitisation. La force de l’urgence est ainsi d’absorber tout problème pour qu’il s’y conforme. Celui qu’on ne parvient pas à présenter comme urgent se trouve éliminé (p41).

2. Quand l’exception fait la règle

« L’état d’exception, c’est la mise en suspension de l’État de droit. Il introduit des « fluctuations incessantes ».

La République de Weimar en 1929 établit très rapidement l’état d’exception. Il permet au gouvernement social-démocrate de Friedrich Ébert d’écraser la révolution spartakiste en fusillant notamment dans la rue Rosa Luxembourg. Dès cette époque, Carl Schmitt théorisa en faveur de la dictature. Il se retrouvera quelques années plus tard comme soutien intellectuel du régime national-socialiste. Pour lui, « le pouvoir souverain ne réside pas en premier lieu sur le degré de coercition ou de domination mais dans l’existence d’un monopole de la décision (p63).

3. Indistinction du droit et de l’exception

Pour Erasme, « c’est quand la langue dérape qu’elle dit la vérité ».

Pour Walter Benjamin : « La loi et l’exception se confondent, comme deux manières de constituer une domination violente exercée par celui qui détient le pouvoir sur ceux qui en sont les sujets » (p75). La question de l’urgence aboutit à des questions : « qui décide, qui édicte l’urgence, qui définit les pouvoirs exceptionnels, qui les détient ? (p 83)

4. Violence souveraine et renversement victimaire

« L’état d’urgence anti-terroriste a visé à saper les moyens de lutte sociale et de contestation contre une série de projets d’inspiration néolibérale (gilets jaunes, réforme des retraites, jeux olympiques à venir…). Amnesty International a relevé 2500 blessés parmi les manifestants des gilets jaunes, dont 24 ont perdu un œil et 5 une main (p93). « Le politique considère le moment manifestant comme une occasion de mettre en scène le pouvoir face au désordre » (p98). L’auteur fait une référence à Hérode et au « massacre des innocents », exemple victimaire de la violence souveraine. La violence dans la rue et la violence policière se confortent et se justifient mutuellement.

La clé de compréhension du désordre du monde, au moins du nôtre, correspond à la globalisation de l’économie, à l’effacement des frontières, au refus de privilégier d’autres critères que le profit financier.

5. Derrière le masque de la souveraineté

Le recul du modèle démocratique est sensible. Plusieurs puissances dont la Chine et la Russie ne s’en réclament pas. D’autres, dont le nôtre, s’apparentent à un modèle présidentiel caricatural.

L’État national est largement sous tutelle. Le président est autant désigné par les électeurs qu’il est adoubé par les milieux d’affaires et les superstructures supranationales. L’État « donne l’impression d’une impuissance grandissante » (p 123)

Dans la mesure où les gouvernements semblent dépossédés du pouvoir réel, il leur est laissé la faculté de réagir aux urgences et aux événements, en paroles du moins , ce qui revient à une double négation de la politique. Le Prince et les représentants deviennent les porte-paroles de postures morales.

L’urgence a remplacé toute projection vers l’avenir. Elle rend inutile l’analyse rigoureuse des situations et la compréhension des problèmes. Il y a toujours un problème ou un événement dont il faut parler urgemment.

L’urgence apparaît ainsi comme une des modalités d’une « dictature libérale » (P142).

6. Climat : le sens de l’urgence

Petit rappel : les avions qui tournent à vide pendant une période dans le contexte du confinement aux excursions spatiales sous-orbitales, il est établi que l’élite ne s’encombre pas de rationalité ou de scrupule quand son bon plaisir est en jeu.

7. En temps d’urgence : la vie suspendue

Une référence aux… monastères, avec une citation de Bernard de Clairvaux « Le cloître est un paradis, une région protégée par le rempart de la discipline ». (p180)

« Dans des sociétés traversées par l’urgence, l’individu doit ne jamais considérer sa vie comme urgente, mais faire taire ses aspirations, et accepter que le délai, le report, l’attente, la fragilité des situations soient constitutifs de son existence. »

Un impératif constamment renouvelé : s’adapter.

8. L’effraction démocratique

L’élite a fait sa loi d’un message de Margaret Thatcher : « There is no alternative » : nous n’avons pas le choix. Nous pouvons toujours nous exprimer par référendum contre le projet constitutionnel européen, comme en 2004 en France et aux Pays-Bas, mais le vote sera invalidé, d’une façon ou d’une autre, en l’occurrence par le traité de Lisbonne. Nous devons nous conformer aux injonctions d’un libéralisme autoritaire, comme la Grèce en 2015. L’auteur conclut ainsi ce chapitre : « toute expression démocratique demeure au fond, essentiellement geste d’effraction », que l’État et le Droit ne saurait tolérer (p206).

Épilogue :

La décolonisation des empires d’hier a abouti à la colonisation financière mondialisée.

Aurons-nous les moyens d’être ingouvernables, tout en agissant utilement ?

Commentaires

Cet ouvrage est utile car il montre que l’urgence comme discours et méthode est le plus sûr moyen de laisser les mains libres à ceux qui nous asservissent et nous divertissent, au prétexte de nous gouverner.

L’urgence s’oppose à la fois à la réflexion politique et à la mise en œuvre de projets s’inscrivant dans une logique d’intérêt général.

L’urgence est le refus de la politique ou tout au moins la poursuite d’une politique, à l’abri de toute intervention démocratique. 

Nous le vérifions souvent, à l’échelle des individus, dans le cadre des problématiques alcooliques. Nous serions censés devoir répondre aux urgences, alors que dans la quasi-totalité des cas, il suffit d’attendre pour que le taux d’alcool revienne à zéro et qu’une discussion puisse avoir lieu.

L’urgence escamote le débat et l’action concertée.

Eichmann à Jérusalem

Hannah Arendt           

Folio Histoire

13€, 519 pages

 

eichmannajerusalem

 

Ce document a fait Histoire à partir d’un procès qui s’est tenu en 1961 à Jérusalem. Il nous importe pour de nombreuses raisons. Nous nous intéressons, évidemment, à Hannah Arendt. Nous savons tous que ce reportage suscita remous et polémiques de par les illusions, les complaisances, les complicités passives et actives que révéla le récit du procès d’Eichmann par Hannah Arendt. Nous ne sommes pas dupes de la théâtralisation du procès et des motivations politiques sous-jacentes à la personnalisation de l’Holocauste. Ce n’est pas cela qui nous intéresse le plus, indépendamment du plaisir de lire le texte, vif et incisif, et contributif de l’auteure. Deux thèmes de réflexion nous préoccupent par analogie : la banalité du mal et la banalisation du mal.

Hannah Arendt nous démontre que le monstre Eichmann était aussi un individu banal, un « sale type » très ordinaire. Il était d’origine bourgeoise mais ses capacités moyennes l’avaient écarté du parcours universitaire dont sa fratrie avait tiré avantage. En cette époque de perturbations politiques, de crise économique et sociale, il avait basculé, sans avoir eu besoin de lire Mein Kampf, vers le parti nazi, la force montante de l’Allemagne, en 1933.

1. L’atelier-cinéma de l’AREA a découvert récemment Hannah Arendt, film centré en partie sur son reportage à Jérusalem pour le New Yorker, un distingué hebdomadaire US)

 S’ennuyant comme soldat SS, il avait répondu à l’appel au recrutement du service de Sécurité d’Himmler. Ayant abandonné sa culture catholique familiale, il ne cessa, au cours de son procès, de professer son absence de haine des juifs, ce qui n’est pas sans surprendre. Ses deux grands projets pour la communauté juive, comme responsable nazi, (à la réflexion ridicules) auraient été de concentrer les juifs d’Europe sur l’île de Madagascar et de créer une enclave juive en Pologne, dans la Région de Nisko. Il aurait préféré ces solutions mais, en lieutenant-colonel obéissant, il organisa avec méthode et application les trains vers les camps d’extermination.  Son efficacité, son zèle, évidents à la période d’avantguerre où la ligne officielle du Parti était de chasser les juifs d’Allemagne par l’émigration, ne furent pas récompensés. Il traîna avec lui ses frustrations et sa sensation d’être un raté. De ce point de vue, son procès le sortit de sa condition d’individu anonyme, dans laquelle il était tombée comme réfugié en Argentine. Comme le quidam d’une chanson de Guy

Béart, il fut enfin célèbre.

Le cas Eichmann pose de multiples questions dans le cadre de la banalité du mal. Apparemment, la situation faite aux juifs ne l’a jamais troublé. Sans doute, pensait-il qu’ils devaient avoir des torts, que l’on pouvait, non seulement, ne pas les secourir, mais encore les mettre à part, les faire partir de force et, même, si Hitler, Himmler et Heydrich en décidaient ainsi, les supprimer au même titre que les attardés et les malades mentaux. Il évoluait ainsi de l’indifférence passive à l’indifférence active, celle qui aboutit, au final, à supprimer sans état d’âme des innocents de tout âge. C’est le caractère délibéré, organisé méthodiquement et systématiquement qui distingue ce génocide des autres. Avec les guerres, saintes ou pas, nous restons dans les atrocités banales perpétrées par des individus banals. Avec une masse de gens qui laissent faire, en sachant ou en ne sachant pas, nous atteignons un niveau d’inhumanité hors du commun, avec, cependant, des gens ordinaires.

Nous pourrions ranger Eichmann – et tant d’autres avec lui – dans la catégorie des normopathes qui valident les opinions, les consignes et les pratiques admises par la majorité silencieuse ou les minorités bruyantes, spécialement quand les temps sont troublés. Le cas Lacombe Lucien, raconté au cinéma par Louis Malle en fournit un autre exemple.

Reste à considérer la problématique des individus banals en temps de paix. La peur des sanctions ou des représailles n’existe pas alors.

Comment parviennent-ils, sans effort apparent, en dépit de leur intelligence souvent nettement supérieure à celle d’Otto Eichmann, avec le niveau de connaissances dont ils disposent, de leurs pouvoirs, comment font-ils pour donner une telle force au silence, pour laisser se perpétuer un mode d’organisation qu’ils savent, par exemple,  inadapté et inefficace, pour rester sourds et aveugles à ce qui pourrait tant soit peu changer le cours absurde et néfaste des choses ?

Un autre question dérivée, qui inclut l’élite dirigeante et les institutions éclairées, les Pouvoirs en général, est de réfléchir, non à l’individu banal dans sa participation au mal, mais dans le phénomène de la banalisation progressive du mal. L’Histoire, encore une fois, nous donne toutes sortes de renseignements pour montrer la progressivité du basculement de l’anodin au presque rien, au préoccupant, jusqu’à la catastrophe qui aboutit, par exemple, à une guerre civile, à un génocide, à une guerre caractérisée, au suicide d’une Nation ou au naufrage d’une civilisation.

La banalisation du mal associe les actions douces, presque anodines, aux actions violentes, l’usage des lois et la transgression des lois. Le mensonge finit par s’imposer comme vérité. Il suffit de crier très fort et de faire taire ceux qui ne partagent pas ses opinions. Il suffit de créer la confusion et la peur. Nous sommes dans une logique orwellienne

d’idéologie totalitaire.2

Le dernier point à clarifier est de définir le Mal. Nous savons que le camp des vainqueurs ou des puissants n’accolera jamais ce terme à leur réussite. Pour des faits analogues, le vainqueur peut être célébré et le vaincu honni, quitte à revisiter l’Histoire. Cependant, même Eichmann se disait – paraît-il – que « cette histoire finirait mal ». Restent à considérer les faits et, de ce point de vue, le procès Eichmann en fournit en surabondance.

1

12 Après la sinistre Nuit de Cristal du 8 et 9 décembre 1938 de destruction et de pillage de magasins et de biens juifs par des hordes émanant des sections d’assaut SS et des jeunesses hitlériennes, en réponse à l’assassinat d’un secrétaire d’ambassade à Paris, Von Rath, par un jeune juif, la peur devient le lot quotidien de la population persécutée, étoilée, déportée.

Hannah Arendt cite Dostoïevski qui racontait, au retour du bagne en Sibérie, qu’il n’avait jamais rencontré d’individu qui admette avoir mal agi, comme si ses crimes faisaient partie de lui-même au point qu’il soit incapable de les distinguer.  L’absence de sentiment de culpabilité avait même incité à proposer un « comité de conciliation » composés de massacreurs nazis et de survivants juifs par un certain Robert Ley qui se suicida peu après.

Au déni s’ajoute l’amnésie sélective. Eichmann était nécessairement présent à la conférence de Wannsee où furent discutés les moyens de tuer les juifs.

Eichmann avait la manie des formules chocs qui lui procuraient un sentiment d’euphorie telle que « Je me pendrais avec plaisir en public en guise d’avertissement exemplaire à tous les antisémites » (p125).

L’expulsion hors d’Allemagne.

Dans les premiers temps de leur politique anti-juive (34-36), les nazis furent « pro-sionistes ». Eichmann adhéra à cette orientation. Il mit à disposition quelques fermes destinées à ce que de jeunes juifs, futurs émigrants, apprennent leur futur métier d’agriculteurs. Á l’époque, la Palestine était sous mandat britannique.  La majorité des juifs allemands, en particulier ceux qui tentaient d’être assimilés, malgré la politique de persécution qui commençait, ne disposait d’aucun soutien. Les nazis mirent fin à leur politique de coopération, financièrement intéressée dès le début de la guerre. Le désir de fuir l’Allemagne relevait du sauve-qui-peut pour les juifs, depuis la Nuit de Cristal.

La concentration.

Un décret d’Himmler fusionna les SS (dont faisait partie Eichmann) et la Gestapo (police secrète d’État). Son premier chef fut Heydrich, jusqu’à sa mort par attentat, en 1942.

Arendt recommande la lecture d’un livre décrivant clairement la complexité de l’organisation de l’extermination des juifs : « La destruction des Juifs d’Europe »  par Raul Hilberg.

L’Histoire montre que le projet de créer une enclave juive en Pologne ou de les déplacer à Madagascar relevait de la manipulation de l’opinion. L’Allemagne ne pouvait concevoir sérieusement d’envoyer 4 millions de juifs à Madagascar par bateau alors que les Britanniques contrôlaient les mers et que l’effort de guerre ne pouvait permettre un début de déplacement de ce type. Notons quand même qu’un Ministre français du nom de Bonnet avait envisagé d’envoyer les juifs d’Europe réfugiés en France dans l’île malgache (300000 personnes) !

L’heure des camps de travail et des camps de concentration était venu. Pour la petite histoire, IG Farben et Siemens s’étaient implantés à Auschwitz. L’idée était de tuer les juifs au travail. Les habitants d’une ville de Moravie, Theresienstadt furent expulsés pour laisser place à des juifs « privilégiés » (des anciens combattants, des juifs d’union mixte, ou des juifs plus âgés ». Eichmann supervisa l’opération.  Theresienstadt se révéla un camp de transit vers Auschwitz.

La solution finale : le meurtre de masse

La solution finale fut mise en route de façon massive et systématique, au lendemain de l’attaque contre l’URSS en juin 1941.

Il paraît que des militaires et des gendarmes avaient fini par se plaindre de devoir tuer par balles en série la population juive civile des villages polonais ou de les gazer dans des camions, après leur avoir fait ôter leurs vêtements.

Avec la mise au point des camps, du transit vers les camps, décidée par Hitler, conçue et organisée par Heydrich, le cauchemar allait prendre une dimension industrielle. Nous survolerons ces pages.

Mentionnons tout-de-même le passage d’Eichmann en Hongrie, Himmler ayant préparé efficacement l’action de déportation-élimination. Eichmann trouva un secrétaire d’État à la question juive particulièrement zélé en la personne de Lazlo Endre. « En moins de deux mois, 147 trains transportant 434351 personnes » prirent la direction d’Auschwitz.

Variations des positionnements nationaux et religieux à la politique antijuive des nazis

Arendt balaye les variations des positionnements nationaux et religieux selon les différents pays soumis au pouvoir nazi. Cette suite de chapitres est éclairante, même si elle est incomplète.

« En juin 1942, Eichmann convoqua les conseillers de France, de Hollande et de Belgique, afin d’élaborer des plans de déportation à partir de ces pays. Pour « peigner l’Europe d’Ouest en Est », Himmler avait ordonné que la priorité absolue fût donnée à la France, en partie parce que la nation par excellence avait une importance en soi et, en partie, parce que le gouvernement de Vichy avait montré une « compréhension » véritablement extraordinaire et avait promulgué, de lui-même, un grand nombre de lois antijuives. » Il avait créé un Commissariat aux affaires juives successivement dirigé par deux antisémites notoires : Xavier Valat puis Darquier de Pellepoix. De nombreux juifs de Russie, d’Allemagne, de Pologne, d’Autriche, de Hongrie et de Roumanie s’étaient réfugiés en France. Le gouvernement décidait de s’occuper d’eux en commençant par les faisant mettre dans les trains à hauteur de 100000, au titre de leur future « réinstallation ». Les SS avaient l’art de la formule, qui dispense du sentiment de culpabilité. Au cours de l’été et de l’automne 1942, 27000 juifs (en majorité parisiens) furent conduits à Auschwitz.

Les histoires atroces ne manquent pas, telle celle de 4000 enfants séparés de leurs parents à Drancy, dans la banlieue parisienne, expédiés dans un second temps en train vers les fours crématoires, sur un ordre d’Eichmann à un nommé Dannecker.

Les Allemands firent alors une erreur, ils crurent pouvoir déporter sans distinction les « apatrides » et les juifs français. Le gouvernement de Vichy s’y opposa, d’autant que les retours d’information sur les « réinstallations » ne laissaient pas de place au doute sur le sort réservé aux passagers des wagons à bestiaux. Les juifs déportés depuis la France sont estimés à 40000 dont 6000 de nationalité française. 250000 juifs étaient restés en France au moment où les alliés débarquèrent en France.

La Belgique fut d’emblée hostile aux « réinstallations ». Les partisans locaux du régime hitlérien étaient négligeables. La police belge ne coopéra pas, contrairement à la police française qui organisa la rafle du Vél’ d’Hiv du 16 et du 17 juillet 1942 pour près de 13000 hommes, femmes et enfants juifs de Paris et sa banlieue. Les Allemands renoncèrent à confier le convoyage aux cheminots belges : les portes des wagons ne fermaient pas,. les embuscades interrompaient la progression des trains.

En Hollande, la situation était différente. La monarchie gouvernante et ses ministres s’étaient réfugiés en Grande-Bretagne. Le pays était à la merci des SS. Cependant, les étudiants se mirent en grève lorsque des professeurs juifs furent renvoyés. Il y eut également des grèves pour s’opposer aux déportations. Cependant, les juifs hollandais avaient montré une distance face à leurs homologues allemands qui arrivaient en masse et le parti nazi local n’était pas anecdotique comme en Belgique. Le résultat est que les 3/4 des juifs résidant en Hollande furent tués dont les 2/3 étaient des hollandais.

L’attitude des pays scandinaves est intéressante à considérer. Le roi du Danemark fut le premier à adopter l’étoile jaune pour s’opposer à la discrimination. Le pays refusa de faire la distinction entre juifs nationaux et juifs réfugiés. En Norvège, le gouvernement pronazi dirigé par un nommé Quisling enregistra des démissions de ministres quand il s’agit de livrer les juifs allemands réfugiés et, dans le même temps, la Suède leur offrit l’asile et la nationalité s’ils la désiraient. La Finlande qui comportait très peu de juifs ne fut pas concernée par les « réinstallations ».

Arendt mentionne le manque de fiabilité des Italiens à l’égard de leurs alliés allemands pour abandonner leurs compatriotes juifs : 90 % des juifs italiens furent épargnés.

Les comportements divergèrent également dans les Balkans. A noter que le métropolite de Sofia (équivalent d’un archevêque dans la religion orthodoxe) cacha le grand rabbin de la capitale bulgare, en précisant que « les hommes n’ont pas le droit de torturer et de persécuter les juifs ». Pas un seul juif bulgare ne fut déporté. Hannah Arendt signale l’attitude d’un communiste bulgare, Giorgi Dimitrov, après le curieux incendie du parlement allemand, en février 1933. Lors du procès, il prit, de fait, la position d’un accusateur face à Goering, permettant la libération de presque tous les accusés.

« Dans les dernières semaines de la guerre, la bureaucratie SS était surtout occupée à fabriquer de faux papiers d’identité et à détruire les montagnes de papier témoignant de six années d’assassinats systématiques ». Le navire faisait eau et les rats se dépêchaient de le quitter.

Que retirer de cet ouvrage qui fourmille d’annotations et de références historiques ? Qu’en déduire pour notre époque ?

Incontestablement, la Solution finale est un modèle inégalé, à ce jour, dans l’histoire des génocides, par son ampleur, par la force donnée aux assassinats de masse en raison d’une bureaucratie cauchemardesque. Hannah Arendt nous dit que lorsque l’Humanité fait l’expérience d’une pratique nouvelle, dans l’ordre de la Barbarie, elle peut plus aisément récidiver.

Récidiver mais pas nécessairement à l’identique. Avec la puissance communicationnelle et inquisitrice du Numérique, les organisations totalitaires disposent, à présent, d’un pouvoir de nuisance infiniment plus développé et efficace que la bureaucratie paperassière des SS.

Ces mêmes nazis ont montré comment par des manifestations de rue orchestrée, il était possible d’obtenir une sorte de soumission générale. Nous voyons encore quotidiennement des personnes qui gardent des masques comme si l’air que nous respirons était envahi de dangereux virus et comme si cette protection était une garantie.

D’autres ont apporté la preuve qu’il pouvait être efficace de dire NON, tel ce roi du Danemark qui décida d’être le premier sujet à porter l’étoile infamante ou encore ces cheminots belges distraits qui ne fermaient pas la porte des wagons, tout en avertissant du passage des trains pour permettre les embuscades. L’archevêque orthodoxe fit honneur à sa religion en rappelant un principe d’égalité et d’ouverture d’esprit qui tranche avec ceux qui ne doutent jamais, parce qu’ils ont la vraie croyance, et qui s’attachent à balayer devant la porte des autres.

Il a été reproché à Arendt son incompréhension à l’encontre de ceux qui adoptèrent un comportement de moutons. Mais que dire des autres qui restent non concernés, silencieux et passifs ?

L’émotion fait la Masse et la Masse est incapable de se conduire autrement qu’aveuglément.  Gustave Le Bon en son temps analysa la « psychologie des foules ». Face à un pervers, un esprit simple a du mal. Des pervers collectifs alternent le chaud et le froid, le banal, la séduction, l’intimidation, la violence. Il est des humains qui se transforment en loups, face à ceux qui voudraient les transformer en moutons d’abattoir.

Pour prendre la mesure de ses addictions et des autres problèmes, mieux vaut exercer son esprit critique et faire prévaloir l’éthique qui en résulte, en actes, si possible. Telle sera notre conclusion.

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