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Les fiches cinéma

J’accuse

Réalisation : Roman Polanski

Scenario : Roman Polanski, Robert Harris

Date : 2019 France

Durée : 132 mn

Acteurs principaux :

Jean Dujardin : Marie-Georges Picquart

Louis Garrel : Alfred Dreyfus

Emmanuelle Seigner : Pauline Monier

Grégory Gadebois : Commandant Henry

Mathieu Almaric : Bertillon, l’expert graphologue

Vincent Pérez : Louis Leblois, l’ami

Melvil Poupaud : L’avocat de Dreyfus

André Marcon : Zola

SA/ HA

 Mots clés : Ethique – Omerta – Violence – Solitude – Courage

 

1894 : Le capitaine Dreyfus est accusé d’avoir transmis des documents militaires aux Allemands. Il est arrêté et condamné à l’unanimité d’un jury militaire, sur la base d’une missive appelée le « petit bleu », qui lui est attribuée par un expert en écriture, Bertillon. Il est dégradé dans la cour de l’École militaire, puis déporté à l’île du Diable, dans des conditions de détention inhumaines.

1896 : Le colonel Picquart, promu chef des Renseignements généraux pour étoffer rétroactivement le dossier, découvre l’identité de l’auteur des fuites : le commandant Esterhazy. Picquart, jusque-là bénéficiaire des appréciations les plus élogieuses, est destitué par ses supérieurs. Il est expédié en Afrique, dans un bataillon de zouaves.

1898 : Inquiet pour son sort, Picquart se confie à son ami Louis Leblois. Octave Mirbeau, le célèbre auteur du « Journal d’une femme de chambre », un des chefs de file des « dreyfusards » pourra souligner que Picquart est coupable d’une double innocence « celle de Dreyfus et la sienne ». Leblois alerte le sénateur Scheurer-Kestner, alsacien comme Picquart. Emile Zola s’était précédemment élevé contre la vague anti-juive provoquée par « L’affaire » dans le Figaro. C’est dans ce journal qu’il énonce la phrase passée à l’Histoire : « La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera ». Après l’acquittement expéditif d’Esterhazy, Zola publie son brûlot « J’accuse » le 13 janvier 1898, dans « l’Aurore », le journal de Clémenceau, conscient des représailles qu’il aurait à affronter. Il concentre sur lui la haine nationaliste et antisémite. Il s’enfuit en Angleterre, avant l’énonciation de sa condamnation, cédant à l’invitation de Labori, son avocat. Il est condamné à un an de prison avec une forte amende pour diffamation. Scheurer-Kestner crée la Ligue des Droits de l’homme après la condamnation de Zola.

En 1899, un nouveau procès intervient dans l’enceinte d’un lycée de Rennes, transformé en tribunal. La condamnation de Dreyfus est confirmée, à l’indignation des dreyfusards. Presque immédiatement après, Dreyfus est gracié en raison de son état de santé.

Le 27 décembre 1900, dans le contexte de l’exposition universelle, une loi d’amnistie générale est prononcée. Picquart, à la différence de la famille de Dreyfus, conteste, comme Zola, cette loi qui fait l’affaire des militaires impliqués, au premier rang desquels figurent le Général Mercier mais également le commandant Henry, membre influent des renseignements généraux.

La révision du procès, la condamnation du vrai coupable et la double réhabilitation de Dreyfus et de Picquart interviendront en 1906. Trois mois plus tard, Picquart devient Ministre de la Guerre jusqu’en 1909. Il mourra d’une chute de cheval à la veille de la Guerre, en 1914. Dreyfus fera la guerre de 1914 comme lieutenant-colonel

La mise en œuvre de l’omerta et les possibilités de la lever

Le film de Polanski a le premier mérite de nous faire revisiter l’histoire de cette période hautement troublée, justifiant la célèbre caricature en deux dessins de banquet de Caran d’Ache, avant et après : « Ils en ont parlé ». La réalisation est très enlevée, efficace. L’Affaire est vue à partir du point de vue du Colonel Picquart, au demeurant antisémite, mais attaché à une conception de l’honneur militaire qui lui interdisait de condamner un innocent alors qu’il avait identifié le vrai traitre. Sa mère, au moment de l’annexion de l’Alsace-Lorraine par les Allemands au lendemain de la Défaire de 1870, avait fait le choix de la France. Affecté aux Renseignements Généraux, pudiquement appelés « Services de la statistique », sa mission était de démasquer les espions à la solde de l’ennemi.  

Dans le film de Polanski, Picquart va connaître le prix à payer pour refuser l’omerta, exigée par ses supérieurs. Il va disposer d’un précieux ami, Leblois, de sa maitresse, Pauline Monier, seul élément féminin de l’histoire, et surtout de Zola, romancier social et journaliste, prêt à risquer sa tranquillité et sa vie, par amour de la Justice.

En cette époque lointaine, des journalistes pouvaient dénoncer sur preuve, à leurs risques et périls. Ils ne participaient pas à l’anesthésie générale, dans les « étranges lucarnes », selon l’expression du Canard enchaîné.

Qu’en retirer pour la problématique alcoolique ?

Deux choses.

Les alcooliques ne constitueront jamais une cause passionnelle opposant deux camps. Il y a trop de honte, d’un côté, trop d’intérêts contradictoires, de l’autre. Sur le plan individuel, il est toujours un peu risqué d’être soi-même, de devenir, par exemple un alcoolique sobre, privilégiant une éthique de responsabilité rompant avec le conformisme ambiant.

Les Pouvoirs en place préfèrent leur être, avec les avantages qui s’y rattachent, à leur raison d’être qui demande du discernement et du courage. Leur pouvoir de répression et de discréditation ne doit pas être sous-estimé, même de nos jours. Si quelqu’un décide de combattre une politique de santé qu’il estime inappropriée, il doit prendre en compte qu’il ne disposera d’aucun soutien amical, journalistique, économique ou politique. Il est toujours difficile d’agir en conscience, même et surtout en temps de paix. Il est difficile de faire prendre conscience d’une situation d’injustice et de gaspillages humains, en refusant les diabolisations sommaires. Le film illustre la problématique explicitée par Pierre Bayard : « Aurais-je été résistant ou bourreau », dreyfusard ou anti-dreyfusard, prêt, malgré l’inconfort et les risques, à défendre une éthique citoyenne face à la soumission aux valeurs, aux compromissions et aux conséquences de la politique en cours ?

 

Adults in the room

Réalisation et scénario : Costa-Gavras

D’après le livre de Yanis Varoufákis : « Conversations entre adultes »

Date : 2019 France – Grèce

Durée : 127 mn

Acteurs principaux :

Christos Loulis : Yanis Varoufákis

Alexandros Bourdoumis : Alexis Tsípras

Ulrich Tukur : Wolfgang Schäuble

Daan Schuurmans : Jeroen Dijsselbloem

Josiane Pinson : Christine Lagarde

Valeria Golinou : Daniá, compagne de Yannis

SA/ HA

 Mots clés :  Ténacité – Rapport de force – Négociation – Politique – Gestion

 

 

Costa-Gavras nous fait le cadeau de la leçon d’économie politique infligée au peuple grec en 2015, par la ‘‘Troïka’’ à savoir la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire International. Il donne aux citoyens français l’occasion de diminuer leur ignorance sur la technocratie financière et politique qui impose sa loi aux pays européens par le biais de l’Euro.

Le film couvre les 5 mois qui ont commencé avec l’élection d’Alexis Tsípras, chef du parti de gauche Syriza, allié à un petit parti souverainiste pour avoir la majorité au Parlement grec. Pendant cette période, le Ministre des finances, Yanis Varoufákis, longtemps soutenu par Alexis Tsípras, s’est démené comme un diable dans un bénitier pour obtenir une révision de la dette colossale accumulée par les précédents gouvernements de la Grèce. En vain. Au terme d’une lutte feutrée mais féroce, contée par Costa-Gavras, le gouvernement de Tsípras a dû se soumettre aux conditions de l’Eurogroupe et Varoufákis a démissionné. Le peuple grec subit le dépeçage des biens d’Etat par les ‘‘investisseurs’’, ‘‘l’austérité’’ et un chômage de masse rédhibitoire, après avoir subi la gabegie pendant 30 ans. Cette ‘‘normalisation’’ bénéficie, depuis, du remarquable silence des médias. Le sort de la Grèce sert d’exemple aux pays européens qui auraient des désirs d’indépendance à l’égard des Institutions européennes et, en premier lieu, de sa banque.

Nous pourrions légitimement nous sentir salis et humiliés par le comportement de nos dirigeants, alignés sur la politique de la Commission européenne dirigée ces années-là par Jean-Claude Junker, d’origine luxembourgeoise, impliqué dans des histoires d’évasion fiscale.

À titre anecdotique, la relation à l’alcool de ce monsieur, désormais remplacé, ferait problème ; pour les quantités d’alcool fort qu’il ingère : il tiendrait bien d’alcool, selon un ministre français. Une fois, au moins, il n’a pas tenu l’alcool, créant une situation tragi-comique. La montée des marches pour les photos officielles avait été très compliquée. Personne n’est parfait. Cela étant, la Commission européenne a un pouvoir législatif qui s’impose aux pays membres. Elle gère le budget de la Communauté et veille à l’application de ses lois par les pays européens. Nos chers députés du Palais Bourbon et nos hédonistes sénateurs du Palais du Luxembourg n’ont pas à donner leurs opinions.

À l’époque du film, le FMI était dirigé par la française et très politique Christine Lagarde… Depuis, cet ex-membre de l’UMP, est passée présidente de la Banque Européenne, à la place de Junker.

À noter la façon superbe dont Ulrich Tukur incarne Wolfgang Schäuble, le redoutable ministre des finances allemand de l’époque. Quelques années plus tôt, en 2002, Ulrich Tukur avait personnifié l’ingénieur candide du film Amen, du même Costa-Gavras. Les nazis lui avaient montré une nouvelle application du Zyklon B, à base d’acide cyanhydrique, qu’il avait mis au point comme désinfectant. Des malades mentaux – et apparentés – avaient été choisis comme cobayes pour les premières chambres à gaz. Le superbe film « L’œuvre sans auteur » de Florian Henckel est construit à partir de cette expérimentation.

Schäuble a fait l’essentiel de sa carrière dans un fauteuil de paraplégique, après avoir subi une tentative d’assassinat par un déséquilibré, en 1990. Cela ne l’a pas empêché d’être le cosignataire de l’accord de réunification des Allemagnes. Il était opposé – non sans raison, d’un point de vue monétaire – à l’entrée dans la « petite Europe » des pays économiquement moins développés. Il ne voulait pas de la Grèce dans la zone Euro, négligeant que le pays qui a donné la philosophie à l’Europe soit accueilli. Fermons la digression.

La crise grecque avait mis en valeur que les fonctionnaires de ce pays touchaient un quatorzième mois et que la dotation militaire était disproportionnée. Les jeux olympiques de 2004 s’étaient révélés ruineux pour le pays en raison des infrastructures exigées. Qui plus est, les grandes fortunes étaient largement exonérées d’impôts. Les yachts des Onassis et consorts étaient « hors sol ». Il n’y avait pas de politique économique privilégiant l’intérêt général. Les alliances sociales au pouvoir privilégiaient …leurs privilèges.

Pour Schäuble, l’idée de modifier une phrase du M.o.U (memorandum of understanding), charte liant les partenaires européens, pour laisser au gouvernement de Tsípras la possibilité d’engager une politique de redressement de l’économie grecque, était inenvisageable. Les Grecs devaient subir leur dette, accepter toutes les conditions de la Troïka, y compris les plus assassines, ou sortir de l’Euro. La Grèce n’est pas l’Angleterre. C’est un petit pays, très inégalitaire, dont le seul droit est de rembourser une dette qui s’autoentretient par les taux d’intérêt nettement plus élevés que ceux consentis aux pays plus riches.

En dépit de l’habileté, de la ténacité, de l’esprit de répartie, des arguments de bons sens de Yanis Varoufákis, rien n’y fait. La presse inféodée aux banques tance le « narcissisme méditerranéen » et dénonce les « rêveries communistes ». Pas de manifestation de soutien dans les pays de l’Europe du Sud. Les politiques français proclament, dans l’intimité d’un bureau ou la confidentialité d’un couloir, leur amitié aux démarcheurs grecs pour énoncer ensuite, face aux journalistes, la position de la Commission européenne. Varoufákis encaisse sans broncher les commentaires cyniques, les camouflets et le dédain de ceux qui ont besoin de la Commission européenne et de la Banque Centrale pour leur carrière et les intérêts égoïstes de leurs pays. Sa patience sera inopérante.

Un référendum favorable au Non aux conditions imposées par la technocratie européenne n’aura qu’une incidence : la démission de Varoufákis. La majorité du gouvernement restera en place pour appliquer la politique opposée à celle qui l’a portée au pouvoir. On ne plaisante pas avec la Troïka.

Indépendamment de cet utile rappel historique, le film de Costa-Gavras est une réussite cinématographique. La scène où un commissaire allemand expédié par Angela Merkel à Varoufákis s’empiffre à la table de ce dernier, tout en expliquant qu’il n’y a rien à espérer est des plus réjouissantes. La métaphore donne envie de découvrir la cuisine grecque. L’amitié entre Varoufákis et Tsípras est bien rendue, plaisamment imagée quand le chef de gouvernement se compare à un espadon ferré, tiré puis relâché, tiré et relâché, pour fatiguer le poisson jusqu’à ce qu’il se laisse amener sur le pont du bateau. La scène observée à travers une baie vitrée par leurs amis politiques est comique. La tendresse et la complicité est perceptible entre Varoufákis et Daniá, sa compagne. Un peu d’humour et d’amour sont indispensables pour survivre dans un monde dominé par l’argent et les technocrates.

Costa-Gavras donne une note surréaliste par deux scènes. La trahison des politiques est annoncée par une brève séquence : alors que Varoufákis et Daniá dînent en terrasse avec un ami, un groupe compact de jeunes s’avance et les entoure de leurs regards avant de se retirer sans mot dire. La dernière scène du film est un ballet-mascarade. ‘‘Angela’’ et les technocrates anonymes poursuivent et encerclent Tsípras, perdu dans les couloirs de leur palais glacé, au son d’un sirtaki qui n’est pas sans rappeler celui qui conclut Zorba le Grec.

 

Le point de bascule

L’intérêt de ce film est riche d’enseignements analogiques.

Il rend compte de la mise au pas récente, rapidement occultée, d’un pays de la zone euro. De ce point de vue, cet épisode de l’histoire européenne a valeur de démonstration. L’expression démocratique est recevable quand elle se soumet à la logique aveugle imposée par les intérêts financiers dominants. Tout désaccord sera réprimé, écarté, négligé, occulté, selon les cas.

Un autre intérêt est de mieux comprendre le fonctionnement des institutions – quel que soit leur niveau – quand elles se ferment au dialogue avec les acteurs de terrain. Les écarts croissants entre les besoins réels et les logiques financières à l’œuvre sont de moins en moins faciles à occulter. Les décrochages entre la politique définie par les décideurs et les besoins réels des populations n’ont fait et ne font que s’accentuer. Nous le vérifions dans le domaine de la Santé, sous des formes diverses : grèves des Urgences, désertification médicale, démission des médecins hospitaliers – comme dans cette Grèce en crise… Quelle sera la limite de cette évolution, le « point de bascule » pour reprendre une expression de Pierre Bayard (Aurais-je été résistant ou bourreau ? édition de Minuit, 2013) ?

Il serait injuste et faux de dénier toute capacité de transformation positive au système de soin. Face à la pénurie de praticiens, la notion de cabinet de groupe pluridisciplinaire fait son chemin. La psychoéducation semble devoir trouver sa place pour certaines pathologies. Cependant, nous n’en sommes pas là, dans le champ de l’alcoologie et de l’addictologie clinique, spécialement pour les formes collectives de soin ou d’accompagnement psychosomatiques ou psychothérapiques. À un moment, la contradiction entre la logique à l’œuvre avec, notamment, les intérêts financiers des alcooliers et l’intérêt général ne peut être masquée. Avant que ceux d’en haut ne prennent véritablement conscience des changements à induire, combien de gâchis faudra-t-il encore supporter ?

Pourquoi faut-il que tout vienne « d’en haut », que tout soit encadré et fixé ? L’expérience humaine montre que les meilleures innovations ont besoin d’épouser le terrain. Elles viennent, dans l’immense majorité des cas, « d’en bas ». Elles ont besoin d’être soutenues, aidées et non d’être dénaturées, normalisées, vidées de leur contenu. Comment faire comprendre que les ratages sont déterminés par un défaut de dialogue, par une défiance croisée entre décideurs et acteurs ? … et, en dernière analyse, par la soumission aux intérêts financiers ?

Tout un système sophistiqué s’est mis en place, de longue date, les strates s’additionnant aux strates, pour se passer de l’expérience et de la créativité émanant des acteurs, à moins que celle-ci génère des profits financiers. La démocratie n’a rien à voir avec un jeu de cour de récréation, à l’image du spectacle des débats institutionnels qui justifient le titre ironique du film. Il résulte un gâchis incommensurable de ce mélange d’inertie calculée et de condescendance masquée ou affichée, de cynisme satisfait à courte vue. Face aux décideurs et à leur morgue, ou encore face à leur impuissance polie et leur silence embarrassé, les talents de tous les Varoufákis du monde, les intentions les plus louables n’ont aucune chance d’aboutir. Que faire ? Jusqu’où faudra-t-il aller pour atteindre le point de bascule ?

 

Martin Eden

Réalisation : Pietro Marcello

Scénario : Pietro Marcello,      Maurizio Braucci

Date : 2019 / Italie

Durée : 128 mn

Acteurs principaux :

Luca Marinelli : Martin Eden

Jessica Cressy : Elena Orsini

Carlo Cecchi : Brissenden

Zutilia Ranieri : Giulia, la sœur de Martin

Marco Leonardi : Bernado, le mari de Giulia

Vincezo Nemolato : Nino

 SA/ HA

 Mots clés : Ecriture – Créativité – Différences sociales – Mal-être – évolutionnisme

 

 

Le film de Pietro Marcello mérite d’être vu comme une transposition en Italie, à Naples précisément, du livre de Jack London : Martin Eden. Nous avions effectué un commentaire, ajouté ci-dessous, de cette œuvre, dans un ouvrage récent.

Le mal-être du héros et l’instabilité de Martin est bien rendu par le jeu de Luca Marinelli, récompensé par le prix d’interprétation masculine au festival de Venise de 2019. Les autres acteurs sont également singuliers et crédibles. Le montage du film peut sembler haché, reflétant, sans doute, l’instabilité du héros, les aléas de son parcours ainsi que les contrastes sociétaux. La temporalité est incertaine avec les images de Naples du début du siècle, des scènes évoquant les années 50 et il se termine par une déclaration de guerre, avec l’ombre fugace d’un groupe de miliciens sur une plage, dans une des dernières scènes du film.

Martin, l’ouvrier-marin itinérant, tombe amoureux d’une jeune fille de la bourgeoisie, Elena. L’asymétrie sociale lui donne la passion de l’écriture qui ne va malheureusement pas sans bases culturelles et sans ressources qui lui font, toutes deux défaut. Il continue à lire sans modération et s’instruit en autodidacte. Il adopte les théories d’Herbert Spencer qualifiées de Darwinisme social. Cet économiste et sociologue, estimait que l’évolution des sociétés portaient inévitablement les plus aptes au pouvoir. Certaines scènes de débat public font écho à cette théorie, libérale et anarchisante, avec la défense d’un Etat minimal. Quoiqu’il en soit, son macho de beau-frère ne supporte plus d’abriter un « intellectuel » désargenté. Martin doit ainsi s’éloigner de sa sœur Giulia, auquel il est attaché… Il trouve une chambre chez une veuve bienveillante, Maria, dotée de deux jeunes enfants. Une sorte de père de substitution, Brissenden, essaie, amicalement et en vain, de le persuader de laisser ses illusions d’écrivain. Après de nombreux et déprimants retours à l’envoyeur, une première nouvelle est enfin payée et publiée. Le succès arrive, alors…

Après l’heure, ce n’est plus l’heure

« Parmi les histoires d’écrivain, celle de Jack London est la plus touchante. À force de donner de lui, sans retour, dans ses personnages de fiction, au plus près de ce qu’il avait vécu, la reconnaissance sociale le trouve quand, enfin, elle se devient manifeste, vide de désir et peut-être d’inspiration. La transposition avec un de ses doubles, Martin Eden, est significative (p.126). Ruth, la jeune fille dont Martin aurait souhaité être aimé, ne l’a pas apprécié pour ce qu’il était quand il en éprouvait le besoin. Il est courtisé, désormais, par ceux qui l’avaient rejeté. Peut-être, pourrait-on ajouter, que telle était sa destinée : exprimer son talent dans l’indifférence. La reconnaissance publique et privée, pour s’être trop fait attendre, aurait eu comme conséquence paradoxale de le conduire au suicide.

 Ce faisant, son histoire n’est-elle pas celle de la plupart des créateurs qui n’épousent pas les modes ? Ils élaborent leur œuvre en passionnés et dans l’indifférence ambiante. Ils sont contraints sans cesse de se renouveler pour rester fidèles à eux-mêmes, de reprendre courage pour exister encore. Quand la célébrité intervient, leur puissance créative est émoussée sinon épuisée. Ils n’ont plus d’énergie disponible. La continuité comme la nouveauté pourront se manifester contre eux. Le contenu de leur œuvre sera appauvri, formellement dupliqué, dénaturé pour finir.

Certaines œuvres d’exception, nourritures des civilisations, traversent le temps, balayant les frontières du temps et de l’espace. Une chose est certaine, leur portée, leur fécondité seront ignorées de leurs auteurs. Ils n’auront pas la consolation d’avoir inspiré ce devenir.  (1)

Nous savons aujourd’hui que le Darwinisme social, comme source de progrès, est une illusion. Le système économique et financier libéral qui s’est imposé à l’échelle planétaire poursuit une fuite en avant lourde de déséquilibres. Comme l’affirmait approximativement Martin Eden lors de son dernier repas dans la maison d’Elena : les capitalistes se déguisent en socialistes en recourant à l’Etat, alors que leur système est fondamentalement apatride et injustement inégalitaire. Nous savons, à présent, ce qui est advenu des prophéties évolutionnistes.

  • Paradoxes et analogies, applications de l’œuvre de Pierre Bayard à la problématique alcoolique, (Chapitre 2, « Demain est écrit », p14)

 

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