Réalisation : Nicolas Philibert
Scenario : Linda De Zitter et Nicolas Philibert
Date : 2023 France
Durée : 109 mn
Acteurs principaux :
Patients, soignants de l’ADAMANT et équipe de tournage du film
A/ SA
Mots-clés : Troubles psychiques-souffranceEmpathie-Tolérance-Respect de l’autre-Humanité-espoir.
J’ai connu Nicolas Philibert comme cinéaste en 2002. C’est quand j’ai vu son film ’’être et avoir’’ réalisé en 2001 et sorti en salle en Août 2002. Il a filmé, dans leur quotidien (donc dans le réel) 13 filles et garçons de 3 à 10 ans d’une classe unique ainsi que leur maître, Georges Lopez, (adepte des méthodes traditionnelles d’apprentissage) à Saint-Etienne-Sur-Usson dans le Massif Central en Auvergne.
Je venais d’être lauréat du concours de chef d’établissement du second degré et nourrissais des rêves utopiques dans un optimisme projectif quant à la prise en charge éducative des enfants français de collèges et de lycées. Je prévoyais, en conséquence, d’aider à mettre à la disposition de ces jeunes, des clés pour aiguiser et développer leur goût au savoir avec un esprit critique afin de les amener à agir, en tant que sujets, sur leur devenir de façon à ce qu’ils donnent un sens à leurs vies ainsi qu’à celles de leurs proches. Le libéralisme, notamment financier, a giflé mes rêves. Aujourd’hui, je mesure l’impact et les effets puis les dégâts de ce libéralisme financier sur le système éducatif public français (et par conséquent sur mes utopies d’antan que je ne renie aucunement).
En 2023, c’est sur l’Adamant, centre de soin de jour sur un bateau flottant sur la Seine en plein cœur de Paris, qu’il récidive en filmant (là encore dans le réel) avec une quotidienneté réinventée par des patients souffrant de troubles psychiques ainsi que de leurs soignants. Ce cadre de ‘’psychiatrie humaine’’ (selon l’expression de Nicolas Philibert) offre un espace de soin dans le temps et dans l’espace. Les patients sont des hommes et femmes adultes souffrant de troubles psychiques et ressortissants des quatre premiers arrondissements de Paris autour d’un suivi organisé à partir d’accueil de groupes (17 patients dans le film) à visée thérapeutique, soutenu et structuré par des entretiens réguliers avec le médecin-psychiatre-responsable et les référents du patient.
Le film commence par une chanson de François (un patient) accompagné à la guitare sèche par Marc (un autre patient). La chanson s’intitule ‘’la bombe humaine’’ dont les paroles sont du groupe Téléphone (Corine Marienneau, JeanLouis Aubert, Louis Bertignac et Richard Kolinda) et met en exergue, par plusieurs clins d’œil graves et poétiques, la problématique de la condition humaine à l’ère de la modernité tardive. La chanson souligne, entre autres, ce qu’il ne faut pas faire pour éviter que cette bombe humaine n’explose.
Ce centre d’accompagnement au soin n’est pas fermé sur lui-même mais plutôt ouvert sur l’environnement et sur la cité par des sorties des patients et leurs soignants en plein air ou vers des centres culturels ; par l’invitation de personnes-ressources venant de l’extérieur. Concomitamment autour d’un café, à travers les temps d’ateliers thérapeutiques médiatisés (arts, musiques, expression corporelle, couture, confection de confiture ou en réunion du matin), Nicolas Philibert nous immerge au cœur de la psychiatrie où le soin, l’écoute et l’accueil permettent aux patients de révéler le meilleur d’eux-mêmes. Ces moments ponctuent le quotidien vivant, inventif, humain et tendre du collectif de l’Adamant.
Les protagonistes de ce film (patients, soignants, équipe du film) forment un collectif et non une communauté car la réalité de la vie en groupe y est vécue avec ses contradictions, ses tensions mais, également, avec les exigences nécessaires à la vie collective pour ce qui touche à l’exigence de prendre en compte le respect de l’autre, ainsi que la tolérance qui lui est due.
Une citation de Florence Gros de Radio Notre dame qui a fait la critique du film en Mai 2023 donne une appréciation de l’ADAMANT :
« L’équipe qui anime ce lieu atypique offre un cadre de soin structurant, rassurant et humanisant. Alors que la psychiatrie fait encore si souvent l’objet de peurs, sources de grandes souffrances pour les personnes malades et leurs proches, ce documentaire audacieux bouscule parce qu’il nous fait découvrir un monde poétique dans l’ordinaire de la maladie. La rencontre avec chaque patient et ses soignants est une véritable bouffée d’air frais pleine de vie ».
La caméra de Nicolas Philibert ne cache rien des maux des patients, elle capte aussi leur sensibilité, leur humour parfois, leur lucidité et la richesse de leur créativité ; bref leur humanité.
Le nom d’Adamant est une contraction d’adamantin qui désigne le cœur du diamant. Sont-ce les patients qui sont précieux ou serait-ce le centre de soin luimême ?
Le film se termine dans le brouillard. Le cinéaste l’a voulu comme un éloge au flou, pour interroger sur ce qu’est la normalité. Le film est, entre autres, une invitation à rejoindre chacun des passagers dans une humanité multiple mais commune au-delà des différences liées aux problématiques de la maladie.
Analyse fine de la démarche d’accompagnement et analogie avec la problématique alcoolique.
On peut distinguer la différence entre l’approche de l’accompagnement auprès des patients de l’Adamant avec celle de l’AREA 31 auprès des personnes ayant des difficultés avec la problématique alcoolique par quelques éléments non exhaustifs ci-dessous.
Malgré le caractère sympathique du cadre physique et humain de ce centre de jour et la qualité d’accueil, d’écoute, d’empathie, d’accompagnement des patients par les personnels soignants et psychosociaux, les objectifs et finalités de ce projet d’accompagnement, de mon point de vue, souffrent de l’absence de deux éléments majeurs : la dimension de transmission et celle de l’ambition de pérennité. En effet, même si ce centre a été désigné ou qualifié de structure arborant un visage à psychiatrie humaine, d’après le réalisateur du film, cette pratique n’est pas une psychiatrie que je qualifierai de relationnelle par analogie avec l’alcoologie relationnelle. Il me semble que la pratique d’une thérapie de soin ne peut pas faire l’impasse sur la dimension humainement relationnelle entre le patient et le ou les praticiens. Cela veut dire que le praticien doit chercher à faire connaissance avec le patient pour créer un climat de confiance, lorsque le praticien rend possible un dialogue et que la sensation de rencontre devient perceptible par les deux partenaires.
D’autre part, et après documentation, il semblerait que cette démarche d’accompagnement n’a pas bénéficié d’un projet de transmission et encore moins d’une quelconque ambition de pérennité.
C’est pourquoi l’espoir né de la citation de Florence Gros dans sa critique du film, ci-dessus, risque de finir en anecdote.
Moussa BA