Réalisation : Justine Triet
Scenario : Justine Triet, Arthur Harari
Date : 2023 France
Durée : 150 mn
Acteurs principaux :
Sandré Hüller : Sandra,
Swann Arlaud : l’avocat et « ex » de Sandra
Antoine Reinartz : l’avocat général
Milo Machado Graner : Daniel, le fils
Samuel Maleski : Samuel
A/ HA
Mots-clés : Couple – Dépression – traumatisme – apparences - procès
Anatomie d’une chute est « un drame policier et juridique ». Il a obtenu la palme d’or au festival de Cannes 2023. La réalisatrice s’est inspirée d’un procès ayant concerné une personnalité nord-américaine, Amanda Knox.
Il n’est pas nécessaire de raconter l’intrigue dans les détails puisque le ressort-même du film est un récit recomposé dont l’issue n’est dévoilée qu’à la fin. Hitchcock n’aurait pas désavoué le scénario.
Un homme est découvert mort par son fils malvoyant, devant son chalet de montagne, sur la neige. Il a chuté du balcon. Rapidement, la question d’un homicide se pose. Sa femme a-t-elle tué ?
Le couple, les traumas et les trajectoires individuelles
L’alcool est très présent dans ce film : l’écrivaine boit souvent seule, elle boit en compagnie, elle boit avec son mari, elle boit avec son avocat qui a été un temps son ami, elle boit en groupe, au restaurant, pour célébrer son acquittement. L’alcool est présent à l’anglo-saxonne, à tous moments, que la personne soit seule ou non.
L’alcool est à peine visible, tellement il fait partie du paysage. Il n’a pas atteint la position dominante, critique, qui permet d’aborder les difficultés existentielles d’une personne et d’un couple à partir du prisme qu’il constitue.
Le film montre les interactions au sein d’un couple. L’homme et la femme sont tous deux écrivains, comme d’autres seraient médecins, avocats ou cadres dans une banque. Ils sont tous deux dispensés de travaux trop pénibles, un peu éloignés des réalités matérielles. Ils n’ont pas trop de problèmes d’argent sans pour autant être fortunés. La femme écrit une sorte de saga de romans dont le fil-guide est elle-même. Lui se trouve en panne d’inspiration. Une scène-clé du film est une longue dispute. Il lui reproche de l’avoir asservi. Il s’occupe pratiquement seul de leur petit garçon malvoyant. Lent dans sa propre écriture, il lui reproche de lui avoir pris la meilleure idée du roman qu’il était en train d’écrire. Il lui reproche ses infidélités.
De fait, il n’a pas surmonté le sentiment de culpabilité qui le ronge. Son garçon est malvoyant après un accident survenu à l’âge de quatre ans. Il devait aller le chercher à l’école et c’est une baby-sitter qui, sur le trajet-retour, n’a pas « assuré ». Plutôt qu’un anti-dépresseur, c’est d’une psychothérapie dont il aurait eu besoin. Après l’accident, chacun dans le couple a réagi à sa manière, individuellement. L’infidélité de la femme s’expliquerait par un réflexe de survie. A la panne d’inspiration de l’homme correspondrait peut-être l’irruption du trauma dans sa vie de père. Difficile d’écrire une fiction après ce qui est arrivé. Le film est aussi l’histoire d’amour d’un père pour son fils et celle d’un sentiment de dévalorisation extrême, celle enfin de la conscience de l’échec de son couple. Il n’a pas assuré. L’idée d’être indirectement l’auteur du handicap de son fils lui est insupportable. Le tout, assorti de l’absence de psychothérapie, me semble suffisamment étayer la thèse du suicide. Pour finir, le petit garçon parle, il donne la clé de l’énigme : le père s’est suicidé. Il a préparé son « effacement » par une métaphore impliquant le chien-guide du petit garçon. Un chien-guide peut mourir aussi.
Une autre interprétation a été discutée : le petit garçon, déjà orphelin de père, déciderait de protéger sa mère, en inventant la version du suicide. Je la trouve beaucoup moins crédible. La faute, s’il y a faute, de l’épouse et mère ne rend pas compte de la chute mortelle. Elle se situe en amont.
Que penser du procès ? Il donne lieu à une répartition des rôles au sein du Tribunal. Chacun est, apparemment, bien à sa place, l’avocat général, l’avocat de la défense, madame la Juge, les experts, le psychiatre du défunt. Chacun joue son jeu, avec un mélange de rigueur et de parti-pris.
Le sort du procès pourrait se jouer sans savoir la vérité, tant les apparences prêtent à interprétations. Au-delà des causes de la mort qui auraient pu être accidentelles dans un autre contexte, un fait s’impose : le père est mort et un enfant se retrouve orphelin de père.
Une dernière remarque d’ordre technique. Le déroulement du procès est conforme à ce qui se passe aux USA, et non à un procès qui aurait lieu en France. Dans notre pays, l’avocat général, c’est-à-dire le procureur, est tenu de se limiter à des questions peu invasives avant son réquisitoire. Le personnage est bien jeune et très agressif dans ce film. Il occupe en partie la place du Juge et se substitue à l’avocat de la partie civile, celui qui défend les droits du mari possiblement assassiné. Elle est l’absente de l’histoire. Le mort avait forcément des parents au sein de son pays natal qu’il avait rejoint. À croire que les films français doivent se plier aux règles transnationales pour être commercialisés. Notons que le film est sorti en DVD alors qu’il est encore en salle.
Enfin, d’une certaine manière, tout est au mieux et dans l’air du temps : le père pas à la hauteur disparait de la circulation et l’épouse va pouvoir continuer sa vie. Elle a de la matière pour un nouveau roman. Quant à l’enfant…