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Les fiches livres

Quand la parole détruit

Monique Atlan

Roger-Pol Droit

Editions de l’Observatoire

22€, 305 pages

 

 Quand la parole detruit

Monique Atlan est journaliste et essayiste. Elle a collaboré avec Roger-Pol Droit, auteur de nombreux ouvrages dans le champ de la philosophie ; dont « Le sens des limites » en 2021, chez le même éditeur.

L’introduction

L’accent est mis sur « la tentation récente d’effacer les limites pour réaliser le fantasme d’une indifférenciation générale ». (Ce qui colle bien avec la culture de la marchandisation générale). Les auteurs précisent, en contrepoint, que les limites séparent et unissent, séparent et protègent. Ils mentionnent les « tensions nouvelles au temps des neurosciences, des biotechnologies et de la révolution numérique pour évoquer « l’éclipse de l’espoir », le risque de déshumanisation lié à l’effacement d’un récit collectif autour d’un « futur désirable ».

Le mot « crise » a le sens d’un moment douloureux d’indétermination. Nous avons à prendre la mesure de l’imposition d’une parole souvent « destructrice, anonyme, sans interlocuteur, à la fois éphémère, ineffaçable et duplicable. »

Parler, c’est bien plus qu’on ne croit

Quelques distinctions pour commencer :

  • Le langage signifie « tout mode de communication »
  • La langue suppose des mots et une grammaire. Elle fournit les moyens de dire et de dialoguer à ceux qui la maîtrisent.
  • La parole est l’acte d’un individu qui s’exprime.
  1. La parole commence avant nous

Elle suppose un apprentissage précoce. Elle est le propre de l’humain. Elle se distingue des codages et des codes.

  1. La parole est corporelle et mentale

Il existe un entre-corps caractérisé par la distance physique, les échanges de regards, les jeux de physionomie, la gestuelle, les changements de ton, de débit, de sonorité.

  1. La parole est personnelle et impersonnelle

Une citation s’inscrit dans un contexte de parole.

  1. La parole est instantanée et durable

Certaines paroles traversent des siècles.

  1. La parole crée un univers mental

Elle n’est pas simple répétition de mots à la façon d’un mainate. Chaque personne dispose d’un référentiel symbolique de paroles.

  1. La parole distingue et définit l’humanité

L’humain est un animal parlant, doué de raison. Les animaux ne parlent pas et ne pensent pas. Ils disposent de codes de communication, de signaux fixes, alors que les langues humaines évoluent, se transforment, disparaissent, parfois pour réapparaître. La communication animale est soudée à l’expérience. L’animal reproduit à l’identique. Le langage humain crée des récits, des conceptions du monde. Il permet la réflexion et la créativité. En conséquence, il n’est pas possible de faire l’amalgame entre la parole et le « langage animal ».

  1. La parole constitue un acte

On oppose souvent la parole et les actes, non sans raison. Cependant, parler est toujours un acte. La parole suscite des conséquences, même si elle est trompeuse ou insignifiante. Elle a une force particulière si elle s’accorde avec une pratique.

Il ne faut ni sous-estimer ni surestimer un acte de parole. Ainsi, les paroles s’envolent, les écrits restent. « Oralement ou par écrit », les mots sont repris mais également déformés, transformés, travestis.

  1. Une parole me crée et crée l’autre

« Je ne sais pas ce que je suis tant que je n’ai pas le moyen de le dire ». Le « Je » et le « tu » émergent ensemble. « Les paroles des autres font exister un avatar ». À force d’entendre l’autre dire que je suis d’une jalousie maladive, je vais finir par le croire.

  1. La parole fait société

La parole est la condition d’une vie commune.

  1. La parole est continûment à double face

…Comme l’a démontré Esope lors des repas successifs à base exclusive de langue. Elle véhicule le meilleur, le quelconque et le pire. Seuls les humains forgent fables, comédies, croyances. Eux seuls inventent du sublime et du vil.

La lecture peut se poursuivre ensuite avec un niveau d’intérêt inégal. Le discours évite toute dimension politique, ce qui l’affaiblit.

La parole qui détruit, une dynamique toxique

Nous sommes tellement envahis de paroles inutiles, vides, malfaisantes, approximatives, obsédantes que le chapitre pourrait être survolé. Souligner l’effet renforçateur de la parole sans interlocuteur, constitué par les réseaux sociaux est devenu un lieu commun. Notre positionnement peut être simplifié par une position politique : est-ce que j’accepte de parler dans le vide et est-ce que je parle pour dialoguer ce qui suppose l’écoute préalable ? La parole est-elle ou non au service de la relation et de l’esprit critique ? Ou est-elle une parole qui nie l’autre et se pose en Vérité ? Sans besoins de concertation, nous avons adopté pour présenter en vidéo « Ce que nous apprennent les addictions », la forme des questions et des réponses, en prenant le temps d’ajouter une idée à une autre. L’essai de présentation à la façon TV ne collait pas.

Cette partie esquisse un voyage au sein des différentes cultures. À noter que le chinois (la langue chinoise ?) ignore la parole. L’alphabet n’existe pas.

La parole est-elle en danger ?

Cette partie pointe des pratiques nouvelles au moins par les mots qui les désignent et par les supports utilisés.

Ainsi le bashing qui consiste à multiplier la même accusation en utilisant des médias différents, « équivaut à un lynchage sans droits donnés à la défense ».

Les harcèlements commencent très tôt et les réseaux intensifient leurs impacts.

Plus loin, il est question de l’avènement de la robotique affective. Jadis, nous nous satisfaisions de chansons dont nous n’étions pas dupes : « Parlez-moi d’amour, redites-moi des choses tendres » …

Il est question aussi du « délestage des corps, de l’autre, du collectif ».

Les auteurs font le procès de la parole woke : « Le statut de victime est revendiqué. Seule la parole des victimes, réelles ou fictives, est recevable. Une victime est supposée forcément bonne, vertueuse et juste » (p236). Ce type de paroles serait risible si nous ne constations pas sa présence, sous la forme de banalisation et de questionnement, dans les propos de tout un chacun et si elles n’étaient pas relayées par des instances éducatives ou d’autorité. Elles participent au déni du réel.

Pour une économie de la parole

La responsabilité personnelle des paroles n’a d’existence que par et pour les autres (p283).

Une distinction grammaticale intéressante entre interlocuteurs et allocutaires. Les interlocuteurs s’expriment. Ils ont quelque chose à dire. Ils sont écoutés et ils disposeront d’éléments de réponse, d’une façon ou d’une autre. Les allocutaires « sont censés entendre, comprendre, sans pour autant parler en retour ». Quand nous rencontrons, avec plus ou moins de difficulté, un interlocuteur supposé, nous avons très souvent la surprise de nous trouver face à un allocutaire. Il est en face de nous. Il tend(synonyme) Il comprend. Il parle à son tour, sans apparemment tenir compte de ce qu’il a entendu. Il énonce un propos préétabli au dialogue. La rencontre est pour l’essentiel une illusion.

Bien des paroles énoncées ou écrites sont de cette nature. Nous ne sommes pas très loin de la parole prononcée par l’intelligence artificielle. Nous sommes confrontés à des enveloppes vides.

Conclusion

Le livre s’achève avec des expressions parlantes : « Trop parler pour ne pas parler ». Le risque totalitaire est rappelé, avec cette évocation récurrente des massacres du Rwanda préparés par des plaisanteries, des « paroles burlesques appelant à tuer les cafards ». Personne n’aurait imaginé la Shoah avant qu’elle n’ait eu lieu, dans le prolongement d’une parole hypnotique. Aujourd’hui, les machines intelligentes sont d’autant plus dangereuses qu’elles ne comprennent pas. Elles peuvent corriger l’orthographe, la syntaxe. Elles ne comprennent pas. Elles sont logiques. Bien parler n’est pas une affaire de vocabulaire, de correction grammaticale et de style.

Parler l’humain, suppose d’abord de renoncer à l’irresponsabilité, d’être conscient des pouvoirs bienfaisants ou malfaisants de sa parole et d’assumer ses choix.

Ce superpouvoir n’a de sens que par rapport à l’éthique qui le sous-tend. (reluMF)

Notre relectrice, Michelle, relève que le silence a également sa toxicité. Dans Le Chat de Granier-Deferre, un couple ne se parle plus. Seul le chat a un statut d’interlocuteur. Dans le film argentin Dans ses yeux (2009), le violeur assassin d’une jeune femme mariée est séquestré à l’insu de la société dans une sorte de poulailler des années durant, à perpétuité. Il a échappé à la Police en rejoignant la milice liée à la Dictature mais pas au mari. Il reçoit sa pitance, chaque jour, sans un mot.

Le thème de la parole qui détruit est prévu pour le lundi 7 août pour le groupe intégratif

Mangas, sagas, séries, Les nouveaux mythes adolescents

Devenir soi-même

Par la fiction

Julien Cueille

Enseignant psychanalyste

Erès

Août 2022

25€, 283 pages

Mangas sagas series les nouveaux mythes adolescents

S’atteler à une matière inconnue – les mangas, sagas et autres séries, à un âge très éloigné de la catégorie sociale qui s’en nourrit, a quelque chose d’ingrat. Ces productions, sans oublier les jeux vidéo, sont parfaitement inconnus à l’auteur de cette fiche. Au plus, a-t-il dû regarder un film de Harry Potter dans sa vie. À ce qu’il en sait, le héros myope de cette saga a eu des gros problèmes d’addiction par la suite, ce qui n’est pas étonnant en considérant la confusion entre un adolescent et un personnage de fiction devenu mythique.

Le lien avec les jeunes générations se fait, malgré les décennies écoulées, par les héros de sa propre enfance, tels ceux de Hergé ou de Franquin pour les bandes dessinées. Devenir soi-même par la fiction n’a rien de nouveau si l’expression désigne les phénomènes de symbolisation qui construisent l’imaginaire de tout un chacun. La nouveauté de ces sources culturelles est ce en quoi elles s’opposent, en apparence du moins, avec celles des générations précédentes.

Il en est ainsi des mangas, avec l’écriture et la lecture sinistrogyre qu’elles imposent. Les médias de notre modernité permettent une contagiosité virale des nouveaux mythes. Harry Potter serait ainsi le livre le plus lu au monde chez les adolescents. L’intérêt pour les histoires fantastiques relève d’une « frénésie partagée » (p11). Il fonde une véritable néo culture que des auteurs tels que Boimare ont rapproché de leur peur de se frotter au réel. L’appétence pour le fantastique serait une manifestation du refus de l’exercice de l’esprit critique, à « l’apprentissage de la vie par l’expérience. », une réaction au matérialisme déshabité.

« Il y aurait quelque chose de pourri au royaume des superhéros ». Dans son roman graphique « Watchmen » (2018), Alan Moore met en scène des superhéros retraités, diminués, mentalement atteints ou reconvertis dans les affaires. Ils n’ont plus leur place dans le monde désenchanté des années 80. Ils participent à « un univers délabré ». Les « méchants charismatiques » comme Tom Jedusor de Harry Potter ont la côte d’amour, tout comme Joker, un héros psychopathe, dont Phillips a proposé un film en 2019. « Les personnages plébiscités sont ceux qui ne savent pas qui ils sont » et se découvrent au cours de la narration. La « quête de soi » est un invariant des fictions à l’intention des adolescents.

Les œuvres qui font partie de la culture commune sont assez peu nombreuses. Les plus citées sont les plus disponibles sur le marché. Certains jeunes s’en écartent car estimées trop communes. Il s’agit moins d’un souci de distinction, dans l’esprit de l’observation de Pierre Bourdieu, que de l’aspiration à manifester sa singularité. Le critère décisif est le « like » : j’aime : « Je ne sais ni qui je suis, ni d’où je viens, encore moins où je vais ; mais je sais ce qui me plaît. » « Dans un monde où les repères semblent s’effriter, l’imaginaire est un recours vital. La crainte de l’effondrement n’est jamais loin, et l’apocalypse rode ».

Il y a une passion pour les histoires de vampires, une façon d’évoquer le thème de la possession, « une fascination pour le morbide, sur fond de dépression, de toute-puissance, de perversion narcissique » (p33). « Les personnages de fiction sont « des totems qui sécurisent les territoires internes ».

« Dans une société saturée d’informations (et privée de concepts interprétatifs), la moindre production donne lieu à des commentaires « d’experts » sur le Net. Cependant, la culture du Like manifeste, à sa façon, la « tyrannie des émotions » (p41). Le commentaire participe « à la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux » (p43).

Il va de soi que cette production correspond à des « sommes pharaoniques » (p44). La « fièvre de l’instantanéité et de l’épidermique semble avoir contaminé presque tout l’espace culturel » (p46).

Tout bon objet peut se convertir en mauvais. Ainsi dans les contes, la mère est figurée sous le « double aspect de la fée et de la marâtre » (p47).

Les instituts d’audience mesurent tout, visant à gérer les individus à partir des réseaux numériques. Les cultural studies portent sur les codes de domination sociale, leur détournement, leur contestation par les minorités, les groupes de pairs, les groupes de fans, toutes celles et ceux qui s’expriment sur la Toile (p 56).

Les générations participant à la pop culture sont sensibles aux injustices et aux inégalités sociales, sans pour autant développer une critique sociale systématique et systémique (p59).

La science dans sa rage de tout mettre en statistiques fait courir le risque de méconnaitre… ce qui ne se mesure pas, notamment le sentiment d’incomplétude, la place du manque (p65).

Ulysse – cher Ulysse – avait l’art d’improviser en fonction des situations. Les comportements actuels en relèvent souvent.

La pop culture (sinon la culture du plus grand nombre) est-elle l’addition de celles de minorités plus ou moins convergentes ou se caractérise-t-elle principalement par sa contagiosité, sa « viralité » ? (P76).

L’héroic fantasy recycle des légendes médiévales délaissées par la littérature « légitime ». (p76). « La fascination pour la misère et le crime, pour l’énigme, la prégnance d’un imaginaire médiéval et barbare, doivent autant au fantasme » qu’à l’attrait pour le morbide (p79). Ce n’est pas sans évoquer le roman gothique (Frankenstein et Mary Shelley, ou la mystéromania déjà illustrée par Les mystères de Paris et Eugène Sue.

L’auteur consacre quelques pages à la contagiosité des récits, à propos des religions du Livre faisant place à la dimension spirituelle, à côté des rites et des « modes d’énonciation ». (p86). La contagiosité religieuse s’opère par l’effet d’un récit et de personnages. Le recul, le « pas de côté », liés à la croyance ne sont pas replis ou enfermements. Ils ont valeur de ressaisissement avant élan. L’action procède de la méditation. Le tout se vit comme une passion enracinée dans le réel. La spiritualité est un exercice personnel et solitaire, même s’il peut être accompagné par une musique inspirée. Elle se distingue catégoriquement de l’effet mimétique qui mettrait en jeu des neurones miroirs.

À propos des totems et tabous, rattachés à la réflexion de Freud, les tabous concernent les crimes, les sacrilèges, la cruauté, les interdits, les totems, les figures de protection symboliques. S’il s’en trouve dans les récits traditionnels, on relève que les héros de la pop culture sont beaucoup plus ambigus et porteurs de contradictions fortes.

« Aucun interdit n’aurait la moindre efficacité s’il ne reposait sur une introjection, inscrite dans un héritage mythique imaginaire, relayée par l’éducation familiale et les institutions » (p95).

L’humain n’est pas fait que de raison et de passions. Il a besoin de croyances et de rites. Les grecs, « inventeurs de la démonstration » disposaient d’un imaginaire mythique luxuriant. (p110).

« Le mythe est un récit apte à faire advenir à la parole cette part d’indicible, de rendre intelligible l’inconscient » « Le mythe permet de dire l’irrationnel, voire le sacré, autrement que sur le mode du dogme religieux ou de l’adhésion rituelle » (p 116-117). Le mythe (d’après Lacan) comporte une dimension de délire, de relation à l’invisible. Sa fonction la plus éminente pourrait bien être, plutôt que laisser l’imagination du côté du chaos et de la folie, de les tisser, de les organiser, de les rendre en quelque sorte compatibles avec le registre symbolique » « Le mythe permet de dire l’irrationnel, voire le sacré, autrement que sur le mode du dogme ou du rite. » (p117).

« Tout ce qui ne tue pas rend plus fort », tel semble le fil guide de la culture pop.(p131). Les intertitres de ce chapitre sont évocateurs : « Nous sommes tous les ados en croissance », « Se nourrir de récits », « Nous sommes tous des primitifs ».

Nous atteignons une partie plus clinique de ce livre qui rejoint l’expérience clinique actuelle.

« Comment ignorer que le complexe d’Œdipe s’est absenté des fictions d’aujourd’hui » (p145). « Au-delà des stéréotypes genrés, il semble que le problème vienne d’une érosion du discours amoureux lui-même » (p146).

Le seigneur des anneaux est l’exemple d’un récit où la composante sexuée s’efface devant une quête narcissique. Même absence dans Moby Dick où la poursuite de la baleine blanche relève d’un égo pathologique. Jouissance et mort se confondent. (p147)

Comme le souligne Vernant (1989), chez les Grecs, l’autre avait 3 figures : la divinité, la mort, l’amour.

Il semblerait que loin de dépasser le complexe d’Œdipe, nous ayons « régressé en deçà au point que le conflit œdipien n’est même plus possible ! » (p148). « Les mutations psychiques de l’individu couplées aux mutations sociales de la famille induisent des troubles d’une autre espèce : on cherche moins à tuer le père qu’à se trouver soi-même » (p149).

L’auteur nous conduit à un constat que nous avons vérifié nous-mêmes : les profils psychologiques ont changé. Les structures proprement œdipiennes s’effacent devant les organisations limites de la personnalité et les problématiques narcissiques. Et les mutations se poursuivent en termes d’indifférenciation, d’instabilité, d’évolution vers les psychoses et les autismes. Les adulescents ont besoin d’une quête initiatique indéfinie. Il se trouve que les addictions font leur lit de ces contextes, marqués par l’incertitude identitaire et l’effacement des repères. L’arrêt de l’addiction, via l’élaboration mentale, peut être le point de départ d’un changement profond de nombre de personnalités inachevées.

Ainsi l’histoire d’Harry Potter est celle d’un auto engendrement, sur fond d’absence de désir sexuel (p157). Harry et Tom Jesudor sont des doubles contrastés. L’enjeu pour Harry est de s’éloigner de Tom, de trouver son unité pour passer à l’âge adulte. Le côté obscur, la « part maudite » est constituée par la présence de Tom dans la psyché d’Harry. Nous retrouvons ce type de conflit interne/externe en clinique.

« Il est sans doute dérangeant de devoir faire descendre de l’Olympe le sublime des mythes antiques, pour aller chercher l’équivalent, dans le fatras des fanfictions, avec ce qu’elles peuvent avoir de convenu et de répétitif, voire de consternant », un fatras ésotérico-surnaturel, avec ses démons, sa magie, à la sauce samouraï, à la cause médiévo-fantastique, à la sauce-fictionnelle » (p163)

Vernant souligne le rapprochement au sein d’une même approche philosophique, celle de Pythagore ou d’Héraclite, qui réunit le connaissable et l’inconnaissable. La religion chrétienne en porte la marque dans un rapport au divin qui privilégie le silence plutôt que la parole, l’inconnaissable plutôt que la science. Cette approche a été qualifiée de théologie négative. (p174). Elle fait cohabiter la connaissance fragmentaire et l’ignorance absolue.

« Je n’aime pas quand c’est tout noir ou tout blanc » déclare les habitués de la pop culture (p180). Ce n’est pas un dialecticien familier de l’ambivalence qui leur donnera tort. Mais que traduit la pop culture sinon cette opposition manichéenne ou ce clivage qui caractérise l’individu postmoderne ?

L’apocalypse est omniprésente : les histoires proposent des rescapés en quête de survie. Un grand nombre de jeux « immergent les joueurs dans un univers très noir ». Dans le japonais Akira, un corps humain est dissous dans l’acide et le résultat de cette opération chimique est évacué dans les toilettes (comme l’a relaté un fait divers intervenu à Toulouse, car un des inconvénients de ce type d’œuvre de fiction est de faciliter le passage de la fiction à la réalité, spécialement sous l’effet de substances psychoactives).

Les individus hypermodernes semblent avoir renoncé à l’espérance, pour le sociologue De Gaulejac : vaste sujet qui pose la question de l’articulation de l’immanence et de la transcendance. « Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark », s’exclame Hamlet. Plus largement, dans Le Seigneur des anneaux ou Harry Potter, l’abjection s’incarne dans des personnages bizarres. Comme le souligne Kristeva : le sacré coïncide avec l’abject. L’auteur souligne que ces fictions font écho « au territoire de l’Etat-Limite, qui n’est pas celui de la psychose, du moins pas tout-à-fait ; la folie rode et on peut basculer à tout moment » (p190) Et les addictions contribuent à cet équilibre instable, plus ou moins alternatif.

Cueille affirme (p201) : « L’adolescent qui ne vit plus qu’à travers les jeux vidéo se confond avec les personnages de morts-vivants auquel il est confronté. » Le commentaire spontané est : est-ce bien utile de s’y plonger ?

Pour lui, le roman d’Anne Riche de 1976, « Entretien avec un vampire dont il a été tiré un film, au titre éponyme, que j’ai vu (hélas) évoque aussi bien la mélancolie que la perversion narcissique. Les personnages évoquent les états-limites, « souvent écartelés entre des affects d’exaltation grandiose et des moments d’abattements mélancoliques ou angoissés » (p205)

Ces fictions semblent régies par un mot d’ordre : « sauver sa peau ». (p219), ce qui fait écho à l’affirmation inverse : « Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera. ». Cette phrase de l’Evangile peut se retraduire ainsi : « Car celui qui voudra réussir sa vie échouera et celui qui se moquera de la réussite narcissique et matérielle en donnant priorité à l’Autre : soi-même, cet inconnu, les proches les plus proches et les moins proches, d’autres inconnus, l’Autre, enfin, comme Inconnu, celui-là la sauvera en lui donnant du sens ». C’est plus long, un peu alambiqué et incertain, mais cela veut dire la même chose.

L’auteur insiste : « La confrontation à la mort ou à la souffrance, sous couvert de l’immunité de la fiction, ouvre un espace potentiel de désappropriation-réappropriation de soi, en laissant ouvert le double écueil du fantasme de toute-puissance et de l’abîme dépressif » (p229)

Nous sommes en amont de l’Œdipe, dans des zones archaïques de la psyché. Le commentaire qui vient à l’esprit : est-ce bien utile et raisonnable de s’y complaire ? Pourquoi accorder une telle importance à ce foutoir, si révélateur du mal-être contemporain ?

Plus loin, Julien Cueille évoque le « prix de la toute-puissance » (p251) : « Nombre d’adolescents sont dans des états d’éruptions colériques ou pulsionnelles difficilement contrôlables » associées à « un manque de confiance parfois maladif confinant à l’autodestruction, qu’elle soit physique (les addictions, les conduites à risque), sociale et scolaire (mise en échec et retrait).

Pour lui, la notion de bipolarité, dont la médecine et les médias ont « fait des tartines », exagère et fige les variations d’humeur des états-limites, avec des périodes de « trop » et des périodes de « pas assez », d’exaltation et de dépression (p253).

Les ados et ceux qui leur ressemblent, parfois indéfiniment, se prêtent au « jeu des identifications multiples » (p259), terrain d’élection des jeux de rôles. Ceci permet une précision sur la différence entre Moi idéal et Idéal du Moi. Le Moi Idéal est une vision archaïque de soi, fondée sur la toute-puissance narcissique. L’idéal du Moi est le produit d’une élaboration lente et durable qui fait la part des figues symboliques et du relatif. L’idéal du Moi permet de maîtriser ses pulsions. Il est trace du Moi idéal et force de dépassement d’un stade infantile. Il fait intervenir l’étayage culturel.

Arrive le temps de la conclusion qui porte sur le fantasme transhumaniste, cette rencontre de la mégalomanie infantile et du refus terrifié et ridicule de la mort.

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