Réalisation et scenario:
Kaouther Ben Hania
D’après l’ouvrage de Meriam Ben Mohamed : « Coupable d’avoir été violée »
Date : 2017 / Tunisie
Durée : 100 mn
Acteurs principaux :
Mariam Al Farjani : Mariam
Ghanem Zrelli : Youssef
Noomane Hamda
Mohamed Akkari
Chedly Arfaoui
Anissa Daoud
SA
Mots clés : Viol − Police – Violences – Femmes – Religion
Tunis, dans les années 2000. Une jeune femme, Mariam, est sur le point de se rendre à une soirée étudiante dont elle est l’organisatrice. Au dernier moment, elle doit laisser la tenue prévue pour une robe plus audacieuse. Sur place, elle est attirée par un jeune homme, Youssef. Contre toute attente, une nuit de cauchemar va commencer…
Viol et violences des pouvoirs
Le film de Kaouther Ben Hania laisse transparaitre la modestie des moyens mis en jeu pur sa réalisation. La présentation séquentielle de son montage participe à l’impression de chaos de cette nuit cauchemardesque. En l’occurrence, il s’agit d’un viol. L’infortunée héroïne se promenait sur la plage, au clair de lune, en compagnie du jeune homme avec lequel elle faisait connaissance. Une voiture de police a fait irruption. Deux des policiers l’ont violée alors que le troisième maintenait à distance le jeune homme, ignorant de ce qui se déroulait. Différentes scènes, montées comme un reportage, se succèdent. Elles sont d’autant plus vraisemblables qu’elles ont effectivement eu lieu. Nous mentionnerons brièvement les difficultés rencontrées à l’Accueil de la Clinique la plus proche, puis aux Urgences de l’hopital local. Les papiers de Mariam sont restés dans son sac laissés à l’arrière du véhicule de ses agresseurs, ce qui rend son enregistrement impossible. Elle ne peut obtenir l’examen et l’attestation d’un médecin légiste car elle ne dispose pas, et pour cause, de la prescription de la police. La situation se complique encore quand elle se rend, avec Youssef, déposer plainte au Commissariet central pour son viol commis par des policiers en fonction. Elle va les retrouver peu après, face à elle, ainsi d’ailleurs que son sac à main. Les essais d’intimidation se succèdent, sur tous les tons, agressifs, libidineux, affables, paternalistes, menaçants, méprisants, culpabilisants…
Ce récit soulève de nombreuses questions plus ou moins enchevêtrées :
- l’incurie bureaucratique et le refus des responsabilités par le personnel administratif et soignant ;
- le banalisation d’un viol, d’autant plus odieux qu’il a été commis par des professionnels chargés de la protection des civils ;
- les manifestations d’omerta agressive qui en résultent pour empêcher, falsifier puis faire retirer la plainte ;
- le climat insupportablement machiste, vulgaire et violent de plusieurs policiers dans l’enceinte et à l’extérieur du commissariat.
Avons-nous la certitude que les diverses figures d’autorité, investies de prérogatives, officielles ou officieuses, n’incitent pas certains individus à décharger leurs besoins de diminuer, de dévaloriser et de soumettre celle ou celui qui, structurellement ou occasionnellement, se trouve sous leur domination ? Ce qu’endure Mariam et, à moindre degré, son compagnon, pendant les séquences d’intimidation violentes, dépasse l’entendement. Et pourtant, ces comportements existent bien. Sous l’impulsion d’Internet, ils tendent à s’accroître.
Il faudra une folle opiniatreté, ancrée sur l’instinct de conservation de la jeune femme, pour qu’elle reçoive enfin le concours d’un vieux policier qui choisit de prendre ses responsabilités face à la meute de ses collègues. Bel exemple de courage professionnel.
- L’attitude des seconds rôles féminins est à considérer. La policière qui reçoit Mariam pour sa déposition, ne prend pas le risque de l’empathie, une fois l’heure de sa garde achevée. Une jeune femme de l’hôpital manifeste plus d’empathie en conduisant, sans paroles inutiles, la jeune femme jusqu’au bureau du médecin légiste. Le moins que l’on puisse dire est que l’amie de Mariam ne se soucie pas trop de sa disparition, alors qu’elle sait qu’elle n’est pas rentrée à l’heure au foyer de jeunes filles qui les héberge.
- La confusion installée entre le domaine de la Loi, les préjugés religieux, le machisme de fait qui anime la plupart des protagonistes, produisent un mélange des genres, violent et nauséeux.
Nous serions mal venus de faire de ces agissements une spécialité régionale ou culturelle. Le viol, seul ou en bande, est un crime à sanctionner, une fois établi, d’où qu’il vienne et quels que soient les contextes. Les policiers de l’histoire en auraient ‘‘pris’’ pour quinze ans. L’histoire elle-même montre que le viol se résume pas l’ordinaire des violences subies. L’alcoologie et l’addictologie sont riches d’autres violences physiques, verbales et morales.
Sans entrer dans des polémiques stériles, l’élégance, l’humour, le respect et la bonne humeur peuvent se vivre dans les relations de rencontre sans tomber dans le mauvais goît, l’équivoque ou l’emprise.
L’omerta est ce qui permet la perpétuation des manquements les plus graves à l’encontre des plus faibles. Elle appartient aussi, sans spécificité, au monde de l’alcoologie.
Si le film disqualifie sans détour la notion même de « république islamiste », il souligne indirectement la nécessité de dissocier catégoriquement lois et religion et de combattre tout abus de pouvoir d’une Autorité quelconque à l’encontre de celles et de ceux qui peuvent légitimement s’en réclamer. Nul besoin de religion ou de machisme pour subir les préjugés et l’arbitraire. Ils se déclinent au quotidien de mille manières.
Ce film est une incitation au courage, face à l’abus de la force, et ce n’est pas le moindre de ses mérites.